Le procès va durer un mois et demi. Six semaines durant lesquelles huit prévenus majeurs devront répondre de leur possible implication, à divers degrés, dans la mort de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, poignardé puis décapité, le 16 octobre 2020, près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines. L’an dernier, un procès avait abouti à la condamnation de six mineurs par un tribunal pour enfants. Quant à l’assassin, Abdoullakh Anzorov, un réfugié originaire de la République russe de Tchétchénie, il avait été tué par la police peu après les faits, rappelle Franceinfo.
Deux proches de l’islamiste radicalisé de 18 ans seront sur les bancs des accusés pour complicité d’assassinat terroriste. Ils sont, en effet, soupçonnés d’avoir eu une connaissance précise de son projet. Pour cela, ils encourent la perpétuité. Les six autres prévenus sont jugés pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. S’ils sont reconnus coupables, ils encourent une peine de trente ans de réclusion.
Les amis d’Abdoullakh Anzorov
Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud étaient amis avec Abdoullakh Anzorov. D’origine russe, Azim Epsirkhanov connaissait Abdoullakh Anzorov depuis l’école primaire. Gravitant dans la communauté tchétchène, il vivait à Rouen avec sa petite amie au moment des faits. Le 15 octobre, veille de l’attentat, Abdoullakh Anzorov est venu le voir. Ce jour-là, l’assaillant était accompagné d’une connaissance, Naïm Boudaoud. Ce dernier est décrit par l’accusation comme étant « particulièrement vulnérable » et « influençable » mais « sans aucun signe visible de radicalisation violente ».
Le trio se rend dans une coutellerie de Rouen pour acheter un couteau. Une acquisition qui correspond à l’arme retrouvée sur la scène de crime. D’ailleurs, Azim Epsirkhanov reconnaît avoir essayé, sans succès, de trouver une arme de poing pour son ami. Le 16 octobre, Abdoullakh Anzorov demande à Naïm Boudaoud de le conduire dans un magasin de Cergy (Val-d’Oise), où il achète deux pistolets à plombs. L’un d’eux a été retrouvé sur les lieux de l’attentat et l’autre chez Naïm Boudaoud.
Le soir de l’assassinat, les deux hommes sont placés en garde à vue. Lors des interrogatoires, Azim Epsirkhanov assure qu’Abdoullakh Anzorov ne lui avait pas parlé de la polémique au collège, née du cours dispensé par Samuel Paty sur les caricatures de Mahomet. Il affirme également ne pas savoir à quoi allaient servir les armes achetées. Abdoullakh Anzorov leur aurait dit qu’il allait offrir le couteau à son grand-père.
Naïm Boudaoud assure lui aussi ne pas avoir eu connaissance du projet d’Abdoullakh Anzorov. D’ailleurs, son avocate, Hiba Rizkallah, souligne qu’« il n’a jamais été établi, pendant les investigations, qu’il ait eu connaissance de l’existence de monsieur Paty et de la polémique au sein du collège ». Si bien qu’elle compte plaider l’acquittement.
Le parent d’élève qui a appelé à se mobiliser contre Samuel Paty
Brahim Chnina, 52 ans, est le père de la collégienne qui avait accusé Samuel Paty d’avoir montré des caricatures de Mahomet jugées obscènes. Pourtant, la collégienne de 13 ans était absente de la classe ce jour-là. Elle a d’ailleurs été condamnée à 18 mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse. Cofondateur d’une association d’aide aux personnes à mobilité réduite pour aller notamment à La Mecque, Brahim Chnina est accusé d’avoir lancé une campagne de cyberharcèlement contre le professeur. Et ce, avec l’aide de vidéos publiées les 7 et 8 octobre 2020 sur les réseaux sociaux stigmatisant Samuel Paty et le désignant comme une cible. Le père de la collégienne est allé jusqu’à donner l’identité du professeur et le nom de l’établissement où il travaillait.
Il s’est également rendu au collège avec Abdelhakim Sefrioui, dans l’espoir d’obtenir la mise à pied de Samuel Paty. Le professeur avait alors porté plainte pour diffamation. Enfin, entre le 9 et le 13 octobre, Brahim Chnina a été en contact téléphonique neuf fois avec Abdoullakh Anzorov. Après l’attentat, il a expliqué avoir enregistré son numéro dans son répertoire pour l’informer, comme d’autres, de l’organisation d’une manifestation devant le collège. Il a, par ailleurs, affirmé n’avoir aucun lien avec « le tueur » et qu’il n’avait « incité personne à tuer » Samuel Paty. Lors de l’instruction de l’affaire, les juges ont estimé que le parent d’élève n’avait en effet pas une connaissance précise des projets d’Abdoullakh Anzorov. En revanche, ils ont considéré que son action concertée avec le prédicateur Abdelhakim Sefrioui avait « contribué à la commission » de l’attentat.
Le militant islamiste pro-Hamas
Abdelhakim Sefrioui est Franco-Marocain de 65 ans. Militant islamiste, il a fondé le collectif pro-Hamas Cheikh Yassine, dissous le 21 octobre 2020. Il est accusé d’avoir participé avec Brahim Chnina « à l’élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine » à l’égard de Samuel Paty. Le militant a, en effet, filmé des images devant l’entrée du collège et les a utilisées pour réaliser un montage vidéo, posté sur YouTube le 11 octobre. Il y montre du doigt une France islamophobe et traite Samuel Paty de « voyou enseignant ».
Lors d’une audition, le prévenu a déclaré qu’il n’aurait jamais posté sa vidéo s’il y avait eu « un milliardième de chance que cela [l’attentat] arrive ». « On voulait juste des sanctions administratives » contre Samuel Paty, avait-il dit. Pour l’accusation, Abdelhakim Sefrioui avait « l’intention manifeste de s’adresser à un public sensibilisé ou radicalisé par la question des caricatures, en lien avec les appels au meurtre diffusés en septembre par les organisations terroristes » après la republication des caricatures dans le cadre du procès des attentats de janvier 2015. Ses avocats, eux, clament à l’« aberration intellectuelle et judiciaire ». Ils estiment que leur client n’a pas eu de contact avec Abdoullakh Anzorov et que rien ne prouve que ce dernier a vu la vidéo postée cinq jours avant l’attentat.
Une habituée de l’islam radical
Priscilla Mangel évolue depuis l’adolescence dans le milieu de l’islam radical. La trentenaire a échangé une multitude de messages avec Abdoullakh Anzorov, notamment dans les jours qui ont précédé l’attentat, selon l’accusation. Ils ont conversé via un compte sur Twitter qu’elle a supprimé aussitôt après l’assassinat de Samuel Paty. La prévenue et l’assaillant ont, par exemple, échangé à propos des vidéos réalisées par Brahim Chnina. Pour les juges d’instruction, Priscilla Mangel ne pouvait « ignorer ni l’impact de ses publications et de ses échanges avec des individus radicalisés, ni le contexte des menaces terroristes très élevées ». Les magistrats instructeurs considèrent en effet qu’elle « a participé à la préparation » du « projet » de l’assassin, non seulement au regard de ses échanges avec lui, mais aussi « en lui présentant le cours de Samuel Paty comme blasphématoire » et « en faisant référence à une guerre des institutions contre les musulmans ». Une « incidence » sur l’attentat que l’intéressée nie selon son avocate. « Priscilla Mangel estime qu’elle n’a pas conforté l’auteur du crime dans son passage à l’acte, qu’elle ne pouvait d’ailleurs pas imaginer », souligne Margot Pugliese.
Les membres des groupes Snapchat
Yusuf Cinar, Ismaïl Gamaev et Louqmane Ingar étaient tous membres de groupes Snapchat dont faisait partie Abdoullakh Anzorov. Ils sont tous les trois accusés d’avoir apporté un soutien idéologique au terroriste. Turc et déscolarisé dès ses 14 ans, Yusuf Cinar, 22 ans, a partagé un groupe Snapchat baptisé « Zbrr » avec Abdoullakh Anzorov. D’ailleurs, il considérait l’assaillant comme « un ami proche », voire « comme un frère ». Le groupe diffusait de la propagande jihadiste et n’a pas hésité, après l’attentat, à publier le message de revendication du terroriste et des photographies du corps de Samuel Paty.
En France depuis 2013, Ismaïl Gamaev, Russe d’origine tchétchène, a également 22 ans. L’accusation estime qu’il a « participé activement » avec Abdoullakh Anzorov et Louqmane Ingar à un autre groupe Snapchat baptisé « Étudiants en médecine ». Un nom qui cache l’échange de messages à caractère jihadiste. Il aurait notamment « conforté Abdoullakh Anzorov » dans son projet d’assassinat dans les semaines précédant le passage à l’acte. Il devra aussi répondre de smileys souriants après la diffusion dans le groupe Snapchat de la tête décapitée de l’enseignant.
Louqmane Ingar, 22 ans, est accusé d’avoir administré et « participé activement » au même groupe Snapchat. Il envisageait, selon les juges, de quitter la France pour rejoindre l’Afghanistan ou la Syrie « dans les rangs d’une organisation terroriste ».
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