Édith Tartar-Goddet est psychologue clinicienne et psychosociologue. Elle a longtemps travaillé dans le domaine de l’éducation, animant rencontres-débats et ateliers avec des enseignants. En 2021, elle a consacré un ouvrage aux abus dans le cadre de l’Église, poursuivant sa réflexion sur la question de la toute-puissance, initiée dans le cadre de l’école.

Le titre de l’ouvrage publié l’année dernière par Édith Tartar-Goddet souligne l’objet de sa recherche : Quand la toute-puissance humaine s’invite dans l’Église.

« Je me suis penchée sur les formes d’abus les plus graves dans la communauté de l’Église, les plus répétitives qui s’inscrivent dans le fonctionnement des groupes ou des personnes, celles qui deviennent systémiques. En fait, ça nous arrive à tous de chercher à nous imposer ponctuellement, de vouloir imposer un point de vue, une position théologique, un projet… Nous sommes tous confrontés régulièrement à la question de notre puissance et d’être à la limite de l’abus. Il nous arrive aussi à tous d’être confrontés à la puissance des autres et d’être victimes d’abus. Je voulais dans ce livre travailler sur les situations où ces abus deviennent répétitifs dans la vie de l’Église et où les abuseurs ne cèdent devant rien. Cela se traduit parfois dans nos communautés par des situations de harcèlement ou d’emprise. Il ne s’agit pas de dénoncer des personnes ou de les accuser, mais de déceler les lieux où ces configurations sont rendues possibles, d’avoir une approche systémique du problème. »

Un enjeu systémique, pas interpersonnel

Le mode de fonctionnement structurel de l’Église n’est pas en cause en soi, selon Édith Tartar-Goddet : « les Églises protestantes qui ont en principe un mode de fonctionnement plus horizontal laissant plus de place à la coopération et la collaboration ne sont pas à l’abri de la mainmise d’abuseurs dans le fonctionnement de telle ou telle communauté. Ce n’est pas tant le fonctionnement que j’interroge que des manières de faire qui favorisent la mise en place de tels dysfonctionnements sous la coupe de quelques personnes. »

Ainsi, le silence qui règne parfois dans la communauté ecclésiale laisse souvent le champ libre à des abuseurs en puissance ; on n’ose pas intervenir ou dire, parce qu’on craint de ne pas savoir faire ou de s’immiscer dans des relations interpersonnelles qui ne nous concernent apparemment pas. De même, le fonctionnement « à caractère démocratique » des Églises protestantes n’est pas nécessairement un rempart contre des fonctionnements abusifs. « Théoriquement, le fonctionnement plus horizontal dans nos communautés est le gage de plus de coopération et de collaboration. Mais travailler au consensus dans un groupe ou une équipe, ce n’est pas naturel, cela s’apprend. Et de fait, il n’y a pas de lieux où l’apprendre. Dans l’Église, on va souvent reproduire des modes de fonctionnement qu’on a appris ailleurs et reproduire les rapports de pouvoir. »

Une lente prise de conscience

Les Églises ne sont pas les seuls lieux où la toute-puissance de certains crée des dysfonctionnements de l’ensemble. « J’ai commencé à travailler dans le milieu scolaire, et plus particulièrement autour des questions de violences dans le cadre de l’école, rappelle Édith Tartar-Goddet, violence des enfants, mais aussi parfois, violence des “collègues” enseignants ou membres du personnel éducatif. Il m’a fallu moi-même du temps pour faire face à cette question de la toute-puissance de certains qui pouvait peser sur l’ensemble de la communauté scolaire. De même, il a ensuite souvent été long de faire entendre à des inspecteurs que ces situations relevaient de dysfonctionnements systémiques et pas seulement de la “trop grande sensibilité” des victimes d’abuseurs… Mais, petit à petit, l’école et certains de ses partenaires – comme la MGEN qui s’occupe de la santé des enseignants – ont commencé à mettre en place des rencontres et des formations autour du sujet. »

Édith Tartar-Goddet juge cependant que l’Église ne se préoccupe encore pas suffisamment de ce sujet. « J’ai voulu écrire mon livre comme un signal d’alerte ! », reconnaît-elle. Si la gestion des conflits dans l’Église est un sujet qui commence à faire son chemin du côté de l’Église protestante unie de France et de l’Union des Églises protestantes d’Alsace-Lorraine et que des solutions de médiation sont de plus en plus organisées et proposées, « il y a encore comme une chape de plomb de silence sur les situations de violence. Certes, l’Église en tant qu’institution n’est pas maltraitante, mais elle est trop souvent “non traitante”. Malheureusement, dans ce genre de situation : qui ne dit mot consent… »

Comment l’Église pourrait-elle agir ?

Le premier niveau pourrait être celui de la sensibilisation et de la formation à ces questions au sein de l’Église, « peut-être aussi auprès des enfants et des adolescents. Notre catéchèse, qui se préoccupe de questions de société, devrait aborder ces questions difficiles : l’instrumentalisation de l’autre, la prise de pouvoir dans un groupe, la domination de la pensée unique… Les textes bibliques sont riches pour aborder ces questions et rendre les jeunes attentifs à ces défis. » Des propositions de formations pour les pasteurs et ministres de l’Église, mais aussi pour les autres personnes engagées, devraient également être mises en œuvre. « Face à ces situations, il y a trois étapes qui sont indispensables pour les résoudre : percevoir, comprendre et agir. La première est de percevoir ce qui se joue ; d’où toute l’importance de rendre les uns et les autres attentifs à des fonctionnements qui peuvent être nuisibles à la vie de la communauté. »

Pouvoir faire intervenir un tiers

Quand ces situations adviennent, cependant, il est nécessaire de pouvoir faire appel à un tiers. Les membres de la paroisse qui sont témoins de ces situations d’abus sont eux-mêmes une part du système et peuvent être affectés émotionnellement par ce qu’ils vivent ou constatent. « Quand ces situations adviennent, il est surtout prioritaire de s’occuper de celles et ceux qui en sont victimes : les écouter, les accompagner, les aider à comprendre et/ ou les amener vers de l’aide. Il faut vraiment prendre soin des personnes globalement et être attentifs à ne pas ajouter de violence par du silence ou des paroles maladroites (“tu es trop sensible”). » Enfin, quand ces situations adviennent, il faut ne pas oublier les témoins et mettre en place des groupes de parole s’avère souvent utile si ce n’est nécessaire.

Le livre d’Édith Tartar-Goddet ne se borne pas à simplement poser un constat ou évoquer des solutions et des principes généraux. Le cinquième et avant-dernier chapitre répond concrètement à la question Que faire ? alors que le dernier donne quelques ressources pour travailler ces situations bibliquement, théologiquement et liturgiquement en Église. Un certain nombre d’annexes propose des fiches pratiques pour prendre ces dysfonctionnements à bras-le-corps.

  • Édith Tartar-Goddet, Quand la toute puissance humaine s’invite dans l’Église, Olivétan, 2021, 228 p., 16 €