« Tu veux venir au groupe de partage biblique ? Alors je t’explique d’abord ce qu’on y fait et tu diras ensuite si tu veux effectivement venir. On commence par chanter quelques chants, ensuite on prend un moment de prière où chacun peut prier ou ne pas prier, puis ensuite on prend un texte dans la Bible et on essaye de voir ensemble ce qu’un texte vieux de deux mille ans (pour les plus récents) peut nous dire à nous ici et maintenant. Veux-tu toujours venir ?»
Voilà généralement ce que je dis lorsqu’un détenu demande à rejoindre le groupe du samedi après-midi. Le cadre étant posé, la réponse est donnée en toute connaissance de cause. Les discussions durant les séances sont souvent âpres et vivantes, empreintes de sincérité et de pudeur, riches de vécu et de justesse. Souvent, les textes leur « parlent » même s’ils n’ont pour certains aucune base chrétienne. « Que fête-t-on à Pâques ? », « … ». ? Les lapins ? ».
Et pourtant, lorsque l’on prend des textes qui abordent la grâce de Dieu, le pardon, les talents, le péché, le jugement, l’amour, la colère, la haine, la paix, etc., la Parole s’incarne tout naturellement dans leur vie. Ce sont des choses qu’ils connaissent, qu’ils ont vécues ou subies ou encore qu’ils aimeraient voir se concrétiser dans leur vie. La Bible aborde la dimension spirituelle par des situations de la vie de tous les jours.
En prison, le vernis social a éclaté, il reste une carapace pour se protéger de la vie carcérale, beaucoup de peur, d’angoisse, de remords, de tristesse, de culpabilité. Mais nous avons une bonne nouvelle à leur apporter, l’Evangile salvateur qui peut transformer les vies même en prison ! Les détenus demandent souvent s’ils peuvent emporter la Bible dans leur cellule. Cela permet, lors des visites individuelles, de répondre à leur questionnement sur l’un ou l’autre passage qu’ils ont lu.
La Bible, Parole de Dieu est une aide précieuse pour quiconque cherche un sens à sa vie.
« Le pas qui change tout »
J’ai rencontré Roger il y a quatre ans à la maison d’arrêt. Plutôt jovial, il s’est vite intégré au groupe de partage organisé le samedi après-midi, deux fois par mois. Nous commençons par chanter puis avons un moment de prière et nous partageons un passage biblique afin d’essayer de comprendre ce qu’un texte, vieux de deux mille ans, peut bien nous dire aujourd’hui et en plus en prison. Durant ces moments de partage, Roger qui n’a pas sa langue dans la poche cherchait toujours à trouver l’erreur, ce qui n’allait pas dans le texte, ce qui semblait anachronique etc. Il était toujours l’aiguillon sympathique qui faisait réagir les autres détenus présents. Lors des entretiens que nous avions, il parlait de ses multiples projets lorsqu’il sortirait. Il y a deux ans, étant en préventive, il fut libéré en attendant son jugement.
En octobre dernier, j’ai vu revenir un tout autre Roger. Condamné lourdement, il était KO debout : « Comment continuer à vivre ? Comment pouvoir me regarder encore dans une glace après tout ce qui a été dit sur moi ? A quoi me raccrocher ? ». Nous nous sommes vus régulièrement et Roger a débuté un suivi psychologique. En janvier, après quelques semaines d’absence je revois un Roger transformé : « Enfin, j’ai compris et accepté la responsabilité de ce que j’ai fait. C’est dur à porter. Mais ce n’est plus une culpabilité qui m’écrase mais une culpabilité qui me libère. Avant, je faisais tout pour éviter de prendre mes responsabilités, je minimisais ce que j’ai fait, je mettais un vernis pour me protéger. Mais c’était du faux. Le fait de se regarder en face, ça fait mal, je pleure tous les jours mais ça libère. Je vois aussi que Dieu a préparé le chemin : tout ce que j’ai entendu il y a trois ans, toutes les discussions que nous avons eues, où l’essentiel pour moi était simplement d’essayer d’avoir raison, tout cela m’aide maintenant à me reconstruire. Lorsque je prie maintenant je sais à qui je m’adresse et cela me fait du bien. »
En sortant de sa cellule je suis étonné du chemin parcouru en si peu de temps. Lorsque nous faisons un pas vers Dieu, lui en fait dix.