Comparaison européenne : la France dans la moyenne basse

Après avoir plaidé, en première partie de sa leçon, pour une convergence des savoirs, le professeur François Héran poursuit son exposé en présentant une série de données incontestables, qui éclairent les enjeux de l’immigration au-delà des raccourcis. Il observe au passage qu’au long des séances du Collège de France… : « des auditeurs (…) venaient en fin de séance me dire gentiment mais fermement (…) mais enfin quel dommage que vos analyses sur l’immigration soient si peu connues vos publications scientifiques sont confidentielles pourquoi n’êtes-vous pas davantage présent dans les médias ». Gageons que les leçons données dans le cadre de la chaire « Migration et société » ont permis de corriger un peu le tir ! François Heran explique que l’idée, relayée par des politiques, d’une France submergée par l’immigration, ne correspond tout simplement pas à la réalité.

En 2023, les nouveaux titres de séjour (0,5 % de la population) placent la France au 25e rang de l’OCDE (cf. illustration). Les données de l’ONU montrent que 14 % de la population de France est immigrée en 2024, ce qui place le pays au 17e rang en Europe occidentale. Des pays comme le Qatar (77 % d’immigrés) ou le Luxembourg, entre autres, dépassent très largement la France. Depuis 2000, l’immigration est nettement moins importante en France que dans la moyenne européenne, en dépit des dénégations démagogiques entendues ici et là.

François Héran, qui sourit de s’être vu affublé de l’expression « grand prêtre de l’immigration heureuse », critique les discours qui exagèrent l’attractivité migratoire de la France. En réalité, les données montrent que la France est loin de se révéler le pays le plus attirant pour les migrantes et les migrants qui regardent vers l’Europe. Et les données du ministère de l’Intérieur – au-delà de paroles ministérielles parfois motivées par des motifs électoralistes – confirment cette position modérée, malgré les rhétoriques contraires. La France n’est nullement en haut du « tableau européen », comme le prétend le ministre de l’intérieur actuel, Bruno Retailleau. Et les augmentations migratoires sont régulières, non explosives, contrairement aux affirmations médiatiques. Tableaux à l’appui, Héran appelle à une lecture rigoureuse des chiffres pour contrer les manipulations.

Éviter un usage biaisé et électoraliste des données

Le professeur François Héran déplore ensuite les approximations, comme additionner titres de séjour, demandes d’asile et entrées irrégulières. Cette pratique, utilisée par le ministre de l’intérieur actuel, crée des doubles comptes (40 % des demandeurs d’asile obtiennent un titre). Comparer 550 000 entrées à « la ville de Lyon » dramatise subjectivement l’immigration. Ces 550 000 personnes représentent moins de 1 % de la population française (68 millions). François Héran explique posément les procédés douteux de ce « tour de passe-passe » qui amplifie la perception de la pression migratoire. Il déplore par ailleurs l’usage de formules comme « trop, c’est trop », vides de sens scientifique. Maniant l’humour et la dérision avec une gourmandise bienveillante et posée, il s’adresse à « notre grand instituteur national Philippe de Villiers qui a traité récemment le pape François de Pape woke ». Il commente : « c’est un peu court parce qu’à mon humble avis le mal vient de plus loin, Saint Luc était déjà un évangéliste woke et si vous avez conservé chez vous une vieille édition de son évangile ne laissez pas traîner ce texte risque de corrompre la jeunesse ». François Heran, qui connaît la Bible, rappelle à cet égard que Luc « est le plus inclusif » des évangélistes (auteurs des Évangiles). Il « s’intéresse aux femmes, aux handicapés, aux étrangers, aux collecteurs d’impôts, aux soldats étrangers et aux samaritains qui étaient en quelque sorte des étrangers intérieurs ». C’est la raison pour laquelle la fameuse parabole du Bon Samaritain n’est rapportée que par Luc (1).

Revenant aux statistiques de l’immigration, François Heran s’interroge : les conseillers politiques auraient-ils tendance à privilégier des chiffres saisissants et peu rigoureux pour des raisons électorales ? Or, quand la population immigrée passe en 15 ans de 2 % à 4 % sur la façade atlantique, ce n’est pas une submersion, loin de là ! A l’aide de données scientifiques vérifiées, recoupées, convaincantes, François Héran répète que ces erreurs, soulignées depuis des années, persistent dans le débat public. Les données de l’INSEE ou de l’OCDE, pourtant disponibles, contredisent ces exagérations. En chercheur citoyen, il plaide pour une politique basée sur des faits, comme la « data-driven policy » américaine (politique conduite à partir des données quantitatives).

Une immigration diversifiée et diluée

En matière d’inscription dans l’espace, François Héran observe aussi une dispersion croissante des immigrés sur le territoire français. Cartes à l’appui, il montre que des régions comme la Bretagne (+92 %) ou les Pays de la Loire (+99 %) attirent davantage (cf. carte, illustration).

Les anthropologues et sociologues qui travaillent sur les Églises protestantes évangéliques et pentecôtistes pourraient, sur ce point, largement corroborer l’observation, tant les Églises multiculturelles marquées par le phénomène migratoire se sont développées, depuis 20 ans, partout dans l’hexagone, et notamment hors de l’Île-de-France, redessinant une « nouvelle France protestante » (2). Ces hausses partent de bases faibles (2 à 4 % d’immigrés), à l’inverse de l’Île-de-France (20 %). Les arrondissements parisiens montrent des dynamiques variées : certains gagnent, d’autres perdent des immigrés. Cette dilution reflète une élévation du niveau social et éducatif des migrants : « il y a une certaine tendance des immigrés à progresser dans la hiérarchie sociale dans les niveaux d’éducation et du coup à migrer vers des quartiers mieux cotés ». L’indice de dissimilarité spatiale baisse légèrement (de 26 à 23 % en 15 ans). Éclairé par ces données vérifiables, François Héran conteste l’idée de « ghettos » croissants, appuyée par des think tanks d’extrême droite. Les données de l’INSEE montrent plutôt une légère déségrégation spatiale. La migration étudiante augmente, mais reste modérée par habitant comparée aux pays anglophones. Cette diversification géographique observée à partir des données disponibles nuance ainsi les discours sur la concentration migratoire.

(1) Yves Saoût, Le Bon Samaritain, Bayard, coll. « Évangiles », 2007
(2) Sébastien Fath et Jean-Paul Willaime (dir), La nouvelle France protestante, Labor et Fides, 2011

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