Le monde des sentiments est très riche. Le français a mille mots sur ce thème ! Ils se rattachent à quatre sentiments de base : la peur, la colère, la tristesse et la joie. Toutefois, dans notre culture judéo-chrétienne, trois sont vus comme négatifs : la peur (un « manque de courage »), la colère (« mauvaise conseillère ») et la tristesse (« un manque de foi »). Seule la joie est reconnue positive ! Or tous nos sentiments sont indispensables, ils jouent chacun un rôle.

La colère a été particulièrement refoulée et vue comme suspecte. Pourtant, bien gérer notre colère permet une vie émotionnelle équilibrée. Si nous l’exprimons correctement, les troubles destructeurs comme la haine, l’angoisse, la honte, l’anxiété disparaissent, ne pouvant coexister avec une saine colère, qui a trouvé le bon chemin pour s’exprimer. 

Dans une perspective chrétienne, demandons-nous ce que dit la Bible de la colère. On trouve environ six cents références bibliques pour les mots colère, courroux, fureur, indignation, rage. Un tiers parle de la colère de l’être humain, deux tiers de la colère de Dieu ! En comparaison, « amour » ne revient que trois cent cinquante fois. La colère a donc bien sa place !

Dans le Nouveau Testament, il existe plusieurs mots en grec pour la colère. Les deux principaux, orgè et thymos, éclairent les deux types de colère possibles : orgè, c’est la « bonne » colère, thymos la « mauvaise ».

Selon Jacques Poujol1 , explorer les textes bibliques sur la colère rappelle combien celle-ci, comme réaction face à une injustice, est légitime, et même attendue. Martin Luther King, pasteur baptiste, prix Nobel de la paix, déclarait : « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c‘est l’indifférence des bons ! » D’ailleurs l’apôtre Paul nous incite à nous mettre en colère2 : « Mettez-vous en colère (orgé), mais ne péchez point ! » Certaines versions, gênées par cette incitation, traduisent : « Si vous vous mettez en colère… » Mais il s’agit bien d’un impératif ! Certaines situations exigent donc notre colère ! Être vrai avec notre prochain, ce dont parle ce texte de Paul, c’est aussi dire notre colère face aux injustices subies. Sans l’éviter, ni la refouler, ni agresser l’autre, parvenons à dire notre colère en sujet. 

C’est tout l’objet de l’engagement militant, en particulier associatif, de transformer cette colère en force constructive et créatrice, en militantisme.

Par Valérie Duval-Poujol, présidente de l’association de sensibilisation contre les violences conjugales Une place pour elles3

Orgè, c’est la colère-émotion, la réaction normale à une injustice. Par exemple, Dieu éprouve de la colère face aux péchés des êtres humains (Éphésiens 2.3), Jésus s’indigne contre les pharisiens au cœur endurci après une guérison (Marc 3.5) ; la parabole des invités montre le maître de la maison fâché par leur absence (Luc 14.21) ; Paul s’irrite devant les idoles d’Athènes (Actes 17.16). Cette « bonne colère » a toute sa place dans la vie du chrétien.

Thymos est une colère violente, agressive, négative ; la personne s’emporte avec fureur, c’est la « mauvaise colère » qu’il nous faut éviter, par ses réactions inconsidérées. Ainsi Hérode, pris de rage (thymos), envoie tuer les bébés juifs de Bethléem (Matthieu 2.16) ; les habitants de Nazareth sont remplis de fureur (thymos) face à Jésus (Luc 4.28). C’est cette colère qui est évoquée en Galates 5.20 : « Les penchants humains [autre traduction, les œuvres de la chair], c’est la colère [thymos]. » La Bible déconseille ce type bien spécifique de colère, de rage, de fureur.

1 Jacques Poujol, La Colère et le Pardon, Empreinte temps présent, 2008.
2 Éphésiens 4.26.
3 uneplacepourelles.fr ; ouvronslabible.com