À partir d’une question d’actualité, la « boussole de la FEP » propose des pistes de réflexion pour nourrir le sens de nos actions et tenter d’éclairer le sens des événements que nous traversons.
La parole
« J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger. »
La Bible, Évangile de Jean chapitre 10, verset 16
Chemin de réflexion
Les autres sont là
Jésus, dans son ministère, n’a fait que peu d’incursions en territoire étranger. Pourtant, il annonce ici qu’il faut sortir de l’enclos, aller voir ailleurs. D’autres ont besoin de l’Évangile. Bien souvent, nous sommes affairés à la priorité du moment, aux urgences qui s’imposent à nous, et nous n’avons pas le temps de penser au-delà. Faut-il, quand nous prenons soin de quelqu’un, se demander si d’autres ont besoin de nous au risque de négliger la personne présente ? Le philosophe Martin Buber (1878-1965) disait à propos de cet amour universel du prochain, ou de l’humanité, qu’il s’agissait « d’une bienfaisance falote envers des numéros sans visage ».
Lorsque nous sommes engagés dans un face à face, nous ne pensons pas forcément à l’ensemble de la société qui aurait aussi besoin de notre soin. Emmanuel Levinas (1905 – 1995), philosophe aussi, pense donc la nécessité du politique à partir de cette impuissance relative à ne pas pouvoir être partout. Mais, dit-il, l’action politique est possible parce qu’il y a toutes ces rencontres individuelles et exclusives. Le politique, dans l’idéal, pense à notre place à ceux que nous ne rencontrons pas.
Brice Deymié, pasteur de l’Action Chrétienne en Orient à Beyrouth
La dure réalité des limites
La crise sanitaire nous a tous pris de court. Cet afflux brutal de patients a engorgé les hôpitaux et mis en évidence les limites de leurs capacités d’accueil. Des opérations ont été déprogrammées. Il a fallu faire des choix et repérer parmi les situations d’urgence les cas d’extrême urgence. Nous avons touché du doigt les limites d’une médecine qui n’est pas toute puissante, et dont les moyens humains et financiers sont réduits. Elle ne pouvait pas répondre au « tout, tout de suite ».
Il aurait fallu pousser les murs de nos cliniques et de nos hôpitaux et, dans le même temps, recruter du personnel supplémentaire qualifié. Le « dieu Médecine » est tombé de son piédestal. Aussi performante et innovante soit-elle, la médecine ne peut éclipser la réalité de la mort. Il a fallu faire au mieux dans l’accompagnement et le soin des malades en attente. Plus que jamais, il est nécessaire de militer pour une hausse des capacités hospitalières et des conditions d’exercice de la médecine plus satisfaisantes.
Denis Heller, pasteur, Fondation Diaconesses de Reuilly
Pas de tri
Dans ce grand concert médiatique autour des malades atteints de la Covid depuis deux ans, combien de petites voix ont tenté de se faire entendre pour faire valoir leur travail ? Un travail si humble aux yeux de nos concitoyens rivés sur les chiffres des décès et le nombre de ceux qui, tributaires de matériels très sophistiqués et coûteux, accaparent le personnel de réanimation…
C’est ce même personnel soignant qui accueille inlassablement les autres personnes malades, celles en situation de grande dépendance, les détenus désemparés à leur sortie prématurée de détention, des mineurs non accompagnés dont les dossiers administratifs s’empilent sous prétexte de télé travail…
Car là est bien le sens de leur engagement, et l’honneur de tous ces soignants : ne pas faire le tri entre les malades qui feront la une et les autres. Et si, comme le Christ, il nous arrive parfois d’éprouver un sentiment bien compréhensible d’abandon, de lassitude et même d’amertume, souvenons-nous de cette belle parabole : « Il y aura un seul troupeau et un seul berger ». Chaque être humain a la même importance aux yeux de Dieu alors continuons à prendre soin des plus vulnérables dans cet esprit d’égalité et de fraternité.
Dr Nadine Davous, administrateur des Foyers « Devenirs-Matter »
Des mots pour prier
Seigneur, nous te prions pour ceux qui chancellent dans leur malheur,
ceux que la souffrance rend injustes,
ceux qui meurent abandonnés de tous,
ceux qui espèrent contre toute espérance,
ceux qui attendent la parole ou le geste qui les rendra à la vie.
D’après Jean-Yves Quellec, « Dieu nous prend en chemin », p. 60-61, Ed. Centurion 1979.