Lors de son assemblée générale, fin janvier, la FPF a présenté le rapport de la commission Éthique & Société sur les violences spirituelles et sexuelles dans le protestantisme. Christian Krieger, le nouveau président du conseil de la Fédération, souhaite que les Églises membres s’en « saisissent et mettent à profit les réflexions et les recommandations formulées dans le présent livre et contribuent ainsi à lutter contre ce fléau ». 

Le rapport part d’une conviction : les Églises locales de la FPF ont toutes eu à gérer au moins un cas de violences sexuelles. Elles l’auront fait en interne, sans l’ébruiter et sans en référer à l’instance régionale ou nationale. Car si le phénomène des violences sexuelles n’est pas « systémique », comme dans le catholicisme, toutes les dénominations protestantes ont, dans leur sein, des prédateurs sexuels, quels qu’ils soient.

C’est pour cette raison que le rapport s’ouvre sur quatre témoignages dont les agresseurs sont tour à tour pasteur, conseiller presbytéral et responsable scout. Le rapport veut être une aide pour les Églises locales ; une aide pour qu’elles appréhendent mieux ces violences et qu’elles puissent prendre des dispositions pour les prévenir et les traiter le cas échéant. 

Présentation et analyse des textes législatifs

Pour prévenir les violences sexuelles, le rapport consacre une partie à l’analyse concrète de ces violences, comprenant un rappel des peines encourues pour les différents crimes, un décryptage de la « mémoire traumatique » (très bien analysé par le Dr Muriel Salmona) qui paralyse la vie des victimes, et une analyse des textes législatifs sur le secret professionnel. 

À ce propos, la FPF se veut source de proposition : « Les pasteurs, astreints légalement au secret professionnel, sont encouragés […] à utiliser en conscience la faculté prévue par la loi de lever ce secret. La loi prévoit en effet les conditions où les pasteurs peuvent se soustraire au secret professionnel : sévices graves ou atteintes sexuelles sur un mineur de moins de 15 ans ou une personne vulnérable hors d’état de se protéger. De même s’il reçoit les confidences d’un auteur de crime ou d’un grave délit, les pasteurs doivent tout faire pour que cet auteur assume ses responsabilités et se livre à la justice. »

Mieux appréhender les violences sexuelles ?

La particularité du rapport de la FPF est de poser sur les violences sexuelles un regard biblique, théologique et éthique. Les viols sont très fréquents dans les récits de l’Ancien Testament. Mais dans certains textes, il est possible d’y « discerner une éthique narrative incitant à plus d’humanité ». 

Des exemples dans la Bible

C’est le cas de Juges 19 où le narrateur dénonce la cruauté des pervers, qualifiant l’agression « d’infamie » ; un terme aussi utilisé pour qualifier le viol de Dina en Genèse 34. Cette éthique narrative se retrouve éga- lement en 2 Samuel 13 racontant le viol de Tamar par son frère Amon. Le texte « constitue un avertissement : la doucereuse sphère familiale est un univers dangereux ». Dans le Nouveau Testament, des textes de Paul (1 Co 1) montrent que Dieu, en Christ, est « toujours aux côtés des plus faibles, des victimes de la cruauté et de la barbarie ». La FPF souligne que ce geste de Dieu est à entendre comme « un appel à écouter et protéger les victimes des violences sexuelles ». D’autres textes des épîtres « posent quelques jalons d’une éthique sexuelle » : la réciprocité dans les relations corporelles s’oppose par exemple au viol conjugal, tant fréquent aujourd’hui encore. De même, Éphésiens 5 « exige de l’homme un amour interdisant toute forme de harcèlement, d’agression ou de violence ».

Prévenir et agir contre les violences sexuelles ? 

L’Église doit se rappeler qu’il n’y a pas de profil-type pour un agresseur et que celui-ci niera toujours et jusqu’au bout les actes dont il est l’auteur. Ensuite, il faut éviter le plus possible les « situations à risque » : quand un adulte se retrouve seul avec un enfant (ou un adulte) dont il a acquis la confiance ; quand des enfants d’âges différents se côtoient (les plus jeunes pouvant être des victimes de plus grands).

Dans tous les cas, l’Église, et tout particulièrement son organe directeur, doit être attentif à certains « signes » : repli sur soi, mine triste, enfermement dans le silence, voire attitudes agressives contre soi (mutilations, anorexie, boulimie) ou contre les autres. Dans tous les cas, les victimes doivent pouvoir bénéficier d’une écoute bienveillante et montrant la confiance sans conditions que l’Église porte à leurs paroles.

La FPF « s’engage à travailler à la création d’une instance indépendante d’écoute et d’accompagnement des personnes victimes de violences en son sein ». Mais les Églises locales auront encore des mesures à prendre : encourager les parents de la victime (ou la victime elle-même) à porter plainte, demander à la personne mise en cause de s’abstenir de toute présence aux activités de l’Église pendant la durée de l’enquête. Si la culpabilité est avérée, le pasteur ou le cadre de l’Église doit être démis de ses fonctions et accompagné vers une reconversion.

Accompagnement des victimes et de l’agresseur

Les victimes et leurs proches doivent être accompagnées tant psychologiquement que spirituellement. Ce dernier ne saurait remplacer le premier ! Le pasteur veillera à rester dans son champ : celui de la relation à Dieu, pour renouer avec la confiance en Lui, en soi et aux autres.

Mais l’agresseur doit être aussi accompagné : « l’affirmation, fondée sur la théologie de la justification, qu’il faut distinguer entre l’acte et la personne, s’applique aussi » à l’agresseur. Il doit donc pouvoir lui aussi bénéficier d’un accompagnement psychologique, social et pastoral. Des structures spécialisées existent, les CRIAVS, pour les accompagner sur le plan thérapeutique. Aux États-Unis, un mennonite a initié des cercles de soutien et de responsabilité (CSR). Ces CSR « ont montré leur efficacité, tant dans la lutte contre la récidive que dans la réintégration de l’agresseur dans une vie sociale et communautaire ». De tels CSR existent en France mais sont méconnus. La FPF pourrait contribuer à leur promotion. L’accompagnement pastoral vise la restauration de l’individu, et cela passe par un chemin de repentance et par une demande de pardon à la victime. 

Le pardon de la victime ?

Le pardon étant toujours un don, de Dieu à l’homme, ou d’un humain à un autre, il ne peut être ni exigé ni imposé. Mais le pardon étant don, il peut être donné à la victime de le poser alors même qu’elle pensait cela impossible, au-delà de ses forces. Et il est certain que la reconnaissance de la culpabilité de l’agresseur, par la justice d’une part et par l’agresseur lui-même, peut faciliter l’avènement de ce don.

Par Christophe Jacon, pasteur à Périgueux, membre de la commission Éthique & Société

Pour lire le texte du rapport, cliquez ici.