L’essentiel est aussi ce qui nous permet de donner du sens à nos actions individuelles et collectives. Toutes les cultures ont apporté, chacune à sa manière, leur réponse. D’un point de vue chrétien, les références éclairantes ne manquent pas. Il suffit d’ouvrir, par exemple, le livre des Psaumes ou de parcourir les Évangiles.
Mais qu’en est-il dans notre monde marqué par le matérialisme, la technocratie et l’individualisme ? L’essentiel y occupe-t-il la place que des siècles de réflexion éthique ont tenté de lui donner ? Sans doute n’y a-t-il jamais eu de société humaine où le sens de l’essentiel guidait les actions individuelles et collectives. Mais notre responsabilité nous appelle à questionner les signes d’une instrumentalisation de l’essentiel dans nos vies et dans notre monde. Les trois illustrations suivantes nous invitent à méditer sur les expressions contemporaines de cette tendance.
La publicité
La publicité n’est pas seulement une technologie d’incitation à la consommation. Elle met aussi en scène des représentations implicites de nous-mêmes et de notre rapport au monde qui nous entoure. Il est ainsi banal d’y voir des individus soi-disant libres aliéner leur intimité (vie de couple, relations parents-enfants, amitiés…) à l’acquisition d’un nouveau modèle de smartphone, d’automobile ou de cuisine, à la souscription d’une assurance ou à la fréquentation d’une enseigne commerciale.
Les débats médiatisés
Les prétendus débats à la télévision, sur les chaînes Internet ou dans les médias sociaux se ramènent le plus souvent à des spectacles, d’autant plus appréciés du grand public qu’y participent coupeurs de parole, forts en gueule et autres spécialistes de la dérision généralisée. Même les sujets les plus graves peuvent être matière à des concours de ricanements, d’invectives ou d’altercations.
Les politiques sociales et médico-sociales
Dans les politiques sociales ou médico-sociales, les logiques de moyens et de chiffres prédominent trop souvent sur l’ordre des finalités et des significations vécues. Les visées essentielles de solidarité et de soin envers les personnes en difficulté ou en souffrance se trouvent couramment subordonnées aux contraintes instrumentales de maîtrise des coûts et de conformité aux prescriptions administratives.
Face à ces signes, rappelons-nous cette mise en garde du poète et résistant René Char : « L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant1. »
Par Denis Malherbe, maître de conférences HDR en sciences des organisations à l’université de Tours
1 René Char, À une sérénité crispée, NRF, Gallimard, Paris, 1950.