Nous republions cet article paru en avril 2023 pour nourrir le débat sur « l’aide à mourir », suite aux récentes déclarations d’Emmanuel Macron sur un « modèle français de la fin de vie ».
Plus de 90 % des citoyens (1) seraient favorables à l’euthanasie, mais deux réserves s’imposent. La première concerne le biais de la question, qui oppose d’un côté « des maladies insupportables et incurables » et de l’autre une mort « sans souffrance ». Qui voudrait mourir dans la douleur ? La deuxième touche aux personnes sondées, pour la plupart en bonne santé qui, n’étant pas à l’article de la mort, se réfèrent à des agonies interminables (observées ou relatées) plutôt qu’aux sentiments qu’elles pourraient éprouver au moment de leur propre fin de vie (2).
Personne ne devrait être abandonné à sa détresse
La majorité des personnes en fin de vie ne veulent pas avoir recours à l’euthanasie, à quelques exceptions près qui, par leur caractère médiatique, universalisent à l’excès la revendication. Dans ce moment primordial, auquel nul n’échappera, qu’est-ce qui apparaît essentiel ?
L’essentiel fluctue au fil des ans. Longtemps abstrait, il peut subitement se concrétiser au détour d’une maladie ou à l’épilogue de la vie. Il doit être entendu, personne ne devrait être abandonné à sa détresse ou sa souffrance, et la médecine ne devrait pas considérer la mort comme un échec mais comme le moment, peut-être, le plus important de la vie.
Dans ce domaine, le chemin à parcourir est immense. Les soins palliatifs ne sont pas ou mal enseignés et absents dans de nombreux territoires. Les soignants, médecins et infirmiers des services dédiés sont traités avec un certain mépris par leurs collègues dont l’objectif est de guérir. Il n’existe pas de professeur d’université de soins palliatifs.
Les soins palliatifs ne devraient pas avoir le monopole de l’accompagnement de la fin de vie. Pourquoi devoir quitter un service hospitalier pour un autre à ce moment si unique ? Pourquoi est-il devenu si difficile de mourir chez soi ? L’euthanasie est présentée comme une réponse simpliste à tous ces manquements.
La législation actuelle a quelques leviers à sa disposition
Les directives anticipées sont contraignantes pour la médecine mais il est indispensable de recueillir la parole de la personne, de prendre le temps d’écouter ce qui est essentiel pour elle. Si elles ne concernent pas l’euthanasie en tant que telle, elles ouvrent la possibilité d’un arrêt de traitement, de l’hydratation et de la nutrition, et d’une sédation continue jusqu’au décès (3) . Cette éventualité a le mérite de concerner un grand nombre de personnes en fin de vie dès lors qu’elles le souhaitent ; pourtant les médecins, arguant de leurs convictions, répugnent parfois à respecter leur demande, leur discours étant inaudible et jugé transgressif, alors qu’il relève d’un droit de la personne.
En marge de l’assistance au suicide pratiquée dans quelques cantons suisses, le débat français se focalise autour de l’euthanasie « à la belge (4) » qui ne concerne au plus que quelques milliers de personnes parmi les six cent mille qui décèdent chaque année en France. Mais la pression est telle qu’une nouvelle loi réputée progressiste risque fort d’être préférée à la solution qui consisterait à investir dans un accompagnement solidaire et digne jusqu’à la fin…
Didier Sicard, médecin, ancien président du Comité national consultatif d’éthique
(1) 92 % des Français sont favorables à une légalisation de l’euthanasie, selon un sondage Ifop pour la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), effectué par l’association pour le Droit de mourir dans la dignité, en février 2022.
(2) 24 % seulement seraient favorables à l’euthanasie pour leurs proches ou pour eux-mêmes, d’après le sondage de mars 2021 du collectif Soulager mais pas tuer.
(3) L’injection d’une benzodiazépine contribue à susciter une mort douce.
(4) Le médecin prescrit et administre par voie veineuse un barbiturique suivi, quelques secondes après, d’un curarisant qui entraîne la mort en une à trois minutes.