La plupart des fidèles du JT ne s’informent pas par ailleurs, n’est-ce pas une énorme responsabilité pour vous ?

Le journal de 20 heures existe depuis des dizaines d’années. Tous les ans, on le dit condamné par la montée en puissance d’Internet mais, bon gré mal gré, il rassemble dix millions de Français sur TF1 et France 2, tous les soirs. Je trouve effectivement cette responsabilité écrasante. Selon la couleur que nous donnons au journal du soir, un Français sur six sera mieux informé, plus intelligent, plus déprimé ou plus enthousiaste.

Comment traitez-vous les questions d’insécurité à France TV ? 

Je dirige un service de plusieurs dizaines de journalistes qui traitent l’actualité « chaude ». Dans ce service, une cellule police-justice travaille sur les questions de délinquance et d’insécurité. Notre ligne éditoriale est claire : nous ne traitons les faits divers que s’ils sont emblématiques d’un phénomène ou d’une question de société.

En ce qui concerne la délinquance, nos experts savent évaluer les chiffres. Mais, pour ce qui est des banlieues, nous avons un vrai déficit de couverture. Nous sommes régulièrement accusés, et je pense à juste titre, de ne parler des banlieues que lorsqu’elles s’enflamment. Nous n’avons pas réussi à mettre en place une couverture « positive » du sujet. C’est un échec pour nous et les médias en général.

Comment s’effectue le choix des sujets à balayer en une demi-heure ?

Le premier critère de sélection est l’actualité du jour. Ensuite vient le respect de la ligne éditoriale du journal : priorité à l’économie et à l’international pour France 2. Mais les choix sont forcément un peu arbitraires.

L’image est un critère important, une information sans visuel est difficile à traiter. Mais aujourd’hui, n’importe quel citoyen peut nous en fournir, nous avons donc développé un service de vérification des images. Quant à la vérification de nos informations, nous avons un avantage : le temps. C’est un luxe dans le paysage médiatique à l’heure de Twitter, de Facebook et des chaînes d’informations en continu.

Quelle place réservez-vous à ce qui suscite l’émotion ? 

Sur le plan de l’émotion « gratuite », nous avons évolué. C’est le « syndrome Papy Voise ». L’affaire remonte à 2002 : un monsieur âgé avait été agressé par deux adolescents de son quartier. Scandaleux bien sûr, mais emblématique de pas grand-chose. Son visage tuméfié, qui avait fait la une de tous les JT deux jours avant le premier tour des élections présidentielles, aurait permis, selon certains, l’accession de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour. Nous en avons tiré les leçons.

Le JT est le journal des mauvaises nouvelles plutôt que des bonnes, pourquoi ? 

« Un train qui arrive à l’heure n’intéresse personne », rabâche-t-on dans les écoles de journalisme. C’est ridicule, mais cette déformation professionnelle encourage les rédactions à traiter plutôt les problèmes que les solutions, même si nous avons progressé dans ce qu’il est convenu d’appeler le journalisme de solutions. En même temps, ne pas montrer les guerres, ne serait-ce pas encourager l’impunité de ceux qui les font ? Ne pas dénoncer les violences conjugales, ne serait-ce pas signifier : « Circulez, il n’y a rien à voir… » ? Informer, c’est dénoncer, même lorsque c’est violent, insupportable. Le problème est de trouver le bon dosage.

Vérité, honnêteté, intégrité sont-elles des valeurs protestantes que vous revendiquez ?

L’honnêteté professionnelle n’est pas uniquement une valeur protestante – même si mon surnom affectueux au sein de la rédaction de France TV est « le Protestant ». J’ai appris la prudence ; je recommande aujourd’hui aux journalistes de mon équipe la distance. Nous ne revendiquons pas la vérité, ce serait prétentieux. Chacun de nos téléspectateurs a sa vérité et la confronte tous les soirs à notre exposé des faits. 

Si nous travaillions aussi mal que le prétend la rumeur publique, pourquoi cinq millions de personnes continueraient elles à nous regarder ? Par pur masochisme ? Je ne veux pas le croire. 

Propos recueillis par Brigitte Martin