Ce vendredi 20 juin 2025 est la Journée mondiale des réfugiés (ONU). Mais à l’heure de la montée des nationalismes, qui s’en soucie vraiment ? En raison de certaines valeurs chrétiennes intangibles et de leur ouverture internationale, les Églises protestantes, entre autres, sont de celles qui tendent l’oreille, et la main. En dépit des replis de toute sorte. Dans ce contexte, il est particulièrement précieux, pour décrypter la réalité, d’apporter des données incontestables et une expertise mesurée. Le professeur François Heran s’y est consacré durant sept ans au Collège de France.
Une chaire ambitieuse au Collège de France
Le cycle de cours de François Heran n’a pas seulement porté sur la question des réfugiés mais s’est consacré au thème, beaucoup plus large, de l’immigration. C’est dans le cadre prestigieux du Collège de France (fondé en 1530) que sa chaire « Migrations et sociétés » a nourri, durant sept ans, la réflexion commune. Cette chaire a débuté avec sa leçon inaugurale du 5 avril 2018, et s’est achevé avec sa leçon de clôture le 15 mai 2025. Avec au passage de nombreuses thématiques croisées, dont celle de la religion, et du protestantisme (Églises afropéennes, Églises africaines en Europe). Sa leçon de clôture, magistrale, mérite bien trois articles. Ce premier aperçu revient sur le début de sa leçon finale au Collège de France.
François Héran a ouvert sa leçon de clôture du 15 mai 2025 en rappelant la création de sa chaire « Migration et société » en 2017. Ce titre est inspiré du sociologue Max Weber, auteur d’Économie et Société, publié à titre posthume grâce aux efforts de sa veuve. Il a reflété son ambition d’aborder l’immigration sous tous ses angles. Au fil des années et des invités, des thèmes variés ont été abordés, comme l’intégration, la discrimination, la religion, et la colonisation.
La migration, rappelle François Heran, est un phénomène multidimensionnel, qui croise géographie, économie, sociologie, sciences politiques, droit, histoire. D’un ton posé, précis et bienveillant, il souligne la nécessité de connecter migration interne et internationale : « la Chine par exemple a une formidable migration interne qu’elle traite un peu comme si c’était une migration étrangère ». Son programme, annoncé dès 2017, a connu de nombreux fruits, malgré des contraintes de temps. Les vidéos des interventions sont disponibles sur le site du Collège de France et sur sa chaîne YouTube, suscitant un intérêt nourri. Les réformes des retraites lui ont offert deux années supplémentaires pour approfondir ses recherches… Mais tout n’a pas pu être traité. Il regrette ainsi de ne pas avoir abordé des sujets comme la langue ou l’éthique migratoire. La diversité de ses approches témoigne de sa volonté d’embrasser la complexité du sujet. Refusant l’approche monodisciplinaire, François Heran navigue avec aisance de la philosophie à l’anthropologie en passant par la démographie.
Un parcours interdisciplinaire
Intellectuel et chercheur de tout premier plan, auteur en 2023 de Immigration, le grand déni (1), François Héran a ensuite retracé son itinéraire, marqué par la philosophie, puis l’anthropologie et la démographie. Faute d’agrégation en sociologie (qui n’existait pas encore, à l’époque), il raconte qu’il passa celle de philosophie, ce qui se révéla un atout face aux débats parisiens. Son intérêt pour l’anthropologie sociale l’amène à étudier la parenté en Andalousie. À l’École Normale Supérieure (ENS), il découvre ensuite la statistique sociale via l’INSEE et l’INED. Ses enquêtes en Bolivie et en Espagne enrichissent son approche des migrations rurales. À l’INED, il mène des études sur la sociabilité et la formation des couples. Il enseigne ensuite la statistique à l’ENSAE, consolidant son expertise quantitative. Ses responsabilités à l’INED, l’INSEE et l’ANR ont favorisé une vision interdisciplinaire.
François Héran plaide pour le décloisonnement académique : « il faudrait tout faire je pense pour que les murs entre disciplines ne soient plus des murailles mais des murets, si j’ose dire, c’est une expression que Raymond Boudon avait utilisé à la fin de sa vie ». Comment ne pas le suivre, tant les phénomènes étudiés par les sciences sociales demandent de varier les angles ! Le parcours académique exceptionnel de François Heran illustre la nécessité de naviguer entre savoirs pour comprendre l’immigration et sortir des idées reçues et autres discours réducteurs.
L’Institut Convergence Migration (ICM)
C’est fort de cette exigence de conjuguer le savoirs qu’il fonde, en 2017, l’Institut Convergence Migration (ICM), coordonné par le CNRS et fruit d’un concours national lancé en 2016 à l’initiative de Louis Schweitzer -commissariat général aux investissements d’avenir-.
Ce carrefour prestigieux et très actif, auquel participent des chercheurs qui travaillent sur la religion, notamment au laboratoire Groupe Sociétés Religions Laïcités (GSRL), réunit 600 membres de disciplines variées, affiliés à diverses institutions universitaires. Un pôle unique en Europe ! C’est en synergie étroite avec l’Institut Convergence Migration (ICM), basé au Campus Condorcet d’Aubervilliers (2), que le professeur François Heran va développer et nourrir, ensuite, une réflexion collective de haute qualité sur les phénomènes migratoires. Entre autres filières, l’ICM promeut une formation de master, des recherches interdisciplinaires, des bourses doctorales, et alimente bien des interventions au Collège de France. L’occasion pour François Héran de saluer ses collaboratrices, comme Annabelle Dégré du Loû (IRD) et Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky (INALCO). Le projet de l’ICM illustre, aux yeux de François Heran, l’importance des réseaux pour une recherche migratoire dynamique. Il souligne la complémentarité des disciplines pour mieux appréhender et comprendre les migrations. Les historiens, sociologues et climatologues convergent pour éclairer ce phénomène. Cette initiative collective répond à l’exigence d’une science globale de l’immigration. La diversité et la qualité des séminaires conduits tout au long des sept ans de la chaire de François Heran au Collège de France en témoignent (3).
(1) François Heran, Immigration : le grand déni, Paris, Seuil, 2023
(2) Portail de l’ICM : https://www.icmigrations.cnrs.fr/
(3) Chaîne YouTube du Collège de France : https://www.youtube.com/@Sciences-sociales-CdF/videos