Cher correspondant anonyme, vous pensiez m’injurier, mais je le prends comme un compliment ! Oui, je n’ai jamais aussi bien porté le nom de protestant !

Il y a les combats que l’on choisit et ceux qui s’imposent à vous. C’est le cas de la lutte dans laquelle je me suis engagée publiquement, depuis deux ans, contre le projet de Grand Contournement Ouest de Strasbourg (GCO), autoroute de 22 km visant à bétonner 300 hectares de terre agricole fertile. Je ne vais pas détailler ici ce projet absurde, aussi vieux que celui de Notre-Dame-des-Landes. En 2016, le projet de GCO ressort des cartons de l’État et de Vinci : Pouvais-je continuer à prêcher le respect de la création et une conversion personnelle de notre mode de vie à l’intérieur de l’Église ? Et laisser le village, mes paroissiens, le maire en tête, lutter contre un projet inutile et destructeur de la biodiversité à quelques centaines de mètres ? La lutte s’est organisée en bonne partie à Kolbsheim et dans sa forêt menacée de destruction pour laisser place à un viaduc de 18 mètres de haut. Durant l’été 2017, s’y est installée une Zone À Défendre (ZAD) qui a abrité entre 10 et 25 habitants. Autour de ce noyau, s’est greffé un nombre important de militants regroupés en associations.

Une pasteure militante

Qu’est-ce qu’une pasteure vient faire au milieu de zadistes et de militants écologistes de tout poil ? Un travail de pasteur ! Témoigner de la foi qui est la mienne et qui me motive dans cette lutte. Accueillir sans discrimination ceux qui arrivent avec leur histoire et leurs convictions. Soutenir psychologiquement et pratiquement chacun dans les hauts et les bas de la lutte. Organiser avec quelques collègues, des temps de célébration pour les chrétiens militants et, pour tous, des temps de partage de nos motivations. Participer, avec le maire, aux réunions permettant l’organisation de la collaboration entre zadistes, militants et villageois. Réfléchir aux formes de luttes non violentes. Partager les projets de vie et de société basés sur des valeurs de partage et non de consumérisme. Recueillir les zadistes dans la salle paroissiale quand le froid et l’humidité se font trop criants.

À la demande du maire, sonner les cloches de l’église pour alerter les villageois de l’arrivée des machines pour couper les arbres. Je suis sortie de mon Église. Et je n’ai jamais autant été encouragée, remerciée pour mon travail de pasteure… par des chrétiens, des militants de tous bords, des zadistes. De la part d’un public que certains jugent sans foi ni loi, je constate un intérêt, une reconnaissance et un profond respect pour ce que j’incarne. Sur les sujets brûlants de société, comme ceux de l’environnement, les chrétiens sont accueillis, entendus, voire attendus. Alors pourquoi avons-nous tant de mal à sortir de nos Églises ? J’ai la conviction d’être à ma place de chrétienne et de pasteure au milieu de ce peuple qui fréquente peu ou pas l’Église. Je ne peux que les remercier d’avoir contribué à enraciner mon ministère dans la personne du Christ. Oui, je crois bien porter le nom de protestant…

Caroline Ingrand-Hoffet, pasteure en Alsace, à Kolbsheim Hangenbieten (UÉPAL)