L’hiver 1954 et sa vague de froid sont à jamais gravés dans les mémoires des Français. L’appel de l’abbé Pierre y est pour beaucoup. Le 1er février, sur les ondes radio, il est à l’origine d’une “insurrection de la bonté”. Sur les ondes, il n’y va pas par quatre chemins : “Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée cette nuit…” lance-t-il. Et d’enchaîner en parlant des personnes expulsées de leur logement, “recroquevillées sous le gel, sans toit, sans pain”, à qui il faut venir en aide, rappelle France-Antilles.

Les mots et le ton de l’abbé Pierre font mouche. Son appel est entendu. L’impact est immédiat. Alors que la France d’après-guerre manque de millions de logements, les dons affluent, des bénévoles proposent leurs services et des entreprises leur soutien. Le Gouvernement, lui, lance un “plan d’urgence” reposant sur la mise à disposition de 12 000 logements dits “de première nécessité”. À moyen terme, la trêve hivernale des expulsions locatives, instaurée deux ans plus tard, est le fruit de l’appel d’Henri Grouès, de son vrai nom.

Ancien résistant

Retentissant, cet appel n’est pas la première main tendue de l’abbé Pierre. En 1940, alors qu’il est vicaire à Grenoble, il cache deux juifs. Rescapés d’une rafle, ils étaient venus se cacher dans l’église. Deux ans plus tard, l’abbé Pierre entre dans la Résistance. Il aide des juifs à gagner la Suisse à l’aide de faux papiers qu’il contribue à imprimer. Parallèlement, il participe à la mise en place des maquis du Vercors et de la Chartreuse.

Une fois la guerre terminée, le prêtre est élu député MRP, le parti chrétien-démocrate issu de la Résistance. Dépourvu de sens politique et pacifiste convaincu, il fait vite figure de mouton noir au sein de son parti. Ses pairs trouvent ses prises de position de gauche. Dès cette époque, l’abbé Pierre se bat pour le droit au logement, qui est inscrit en 1946 dans le préambule de la Constitution. Député atypique, il n’hésite pas à verser ses indemnités parlementaires aux sans-abri.

L’aventure Emmaüs

En 1947, une autre grande étape est franchie. Dans une grande bâtisse délabrée de Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), l’abbé Pierre et Lucie Coutaz, sa secrétaire particulière, lancent les bases de son mouvement. Ce qui est d’abord une auberge de jeunesse internationale deviendra la communauté Emmaüs. Sa mission : proposer aux exclus de récolter les surplus des nantis. Une manière de rompre avec la charité traditionnelle.

Le premier compagnon d’Emmaüs sera un ex-bagnard désespéré. Et fin 1949, la communauté accueillera une première famille expulsée de son logement. Avec ses compagnons, l’abbé Pierre construit des hébergements. À grand renfort de tentes et d’abris de fortune, il crée des “cités d’urgence”. Aux permis de construire réclamés par l’administration, l’abbé Pierre oppose des “permis de vivre”. Et lorsqu’en 1952, il remporte 256 000 francs lors d’un jeu radiophonique, il utilise son gain pour acheter un camion et de nouveaux terrains.

Au fil du temps, Emmaüs se développe. En France, mais aussi à l’étranger, au gré des nombreux voyages de l’abbé Pierre. Si bien qu’en 1971, la fondation d’Emmaüs International est lancée. Elle regroupe une quarantaine de pays. Quatorze ans plus tard, l’association Emmaüs France voit le jour en France. Elle fédère aujourd’hui 299 groupes. Reconnue d’utilité publique depuis 1992, la Fondation Abbé-Pierre publie chaque année un rapport sur le mal-logement en France.

Aux côtés des sans-papiers

L’année suivante, l’abbé Pierre interpelle les candidats aux élections législatives. Il leur demande “une garantie du droit au logement pour tous”. Et en 1996 à Paris, il soutient publiquement les sans-papiers réfugiés dans les églises Saint-Ambroise et Saint-Bernard. “Quand il était là, on nous laissait tranquilles. Il était tellement populaire qu’il était craint des politiques”, résumera Jean-Baptiste Eyraud, le fondateur de l’association Droit au logement (DAL), connu pour ses réquisitions de logements vides. En 2007, peu après la mort du prêtre, paraît la loi Dalo. Celle-ci reconnaît un droit au logement opposable aux personnes démunies.