Nous le savons désormais: une élection présidentielle peut se gagner ou se perdre sur un sentiment d’humiliation ou sur son adroite manipulation, sur son déni méprisant ou sur sa sincère prise en compte. Un président peut être jeté par une société au motif qu’il serait trop souvent apparu comme humiliant. Un président peut être élu parce qu’il prête sa voix au sentiment d’humiliation d’une société. On a ainsi vu, à l’ombre de la démocratie, des majorités dangereuses porter Trump ou Erdogan au pouvoir. Ces majorités anti-démocratiques, et profondément apolitiques, poussent aux portes de notre histoire. Pourquoi? Comment? C’est ce qu’il nous faut comprendre.
Or tout cela n’est peut-être que l’infime partie visible d’un énorme problème. Il s’agit certainement d’abord d’un problème politique, avec l’invasion de l’espace politique par des affects et des sentiments qui sont essentiels au lien social, mais qui jadis trouvaient sans doute leur place et leur forme canalisée dans des espaces méta-politiques, les théâtres et notamment le tragique dans la Grèce ancienne, les synagogues, temples et les églises jusque dans la société des années 1950, et peut-être naguère encore dans le cinéma compris comme un grand rituel collectif. Cette question de la place des sentiments a été soulevée par de nombreux auteurs, et tout récemment encore avec […]