C’est tout l’avantage et les limites des réseaux. Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître qu’ils favorisent l’échange et la collaboration. Au point qu’une économie y est désormais associée : l’économie collaborative. Et les Français sont en pointe. C’est en France, par exemple, qu’a été créé en 2000 PriceMinister, le site n° 1 de vente d’objets d’occasion. C’est en France aussi qu’a vu le jour Blablacar. Ce site de covoiturage, implanté dans 19 pays, affiche une croissance de 200 % par an. Son pendant poids lourds, We Truck, a vu le jour l’année dernière, en même temps que Wedrive (trajets domicile-travail). Mais bien d’autres sites proposent de partager. Untel pour un partage de connaissances (Kang), tel autre pour un partage de voiture (Drivy.com), de salles de travail (Bird Office), de chambres (Airbnb) et même de maisons (sejourning) ! Et cela n’est sans doute qu’un début. Les experts économiques estiment que cette révolution économique est partie pour durer.

Rien ne se perd, tout se partage

À l’heure du 2.0, la formule sonne on ne peut plus juste. Mais cette économie collaborative (la sharing economy, comme on dit), tant louée par les chantres de la modernité, est-elle vraiment si moderne que cela ? Pas vraiment ! À cause de la profonde crise économique qu’ont subie les sociétés occidentales depuis 2008 (les fameuses subprimes), les personnes les plus fragiles ont trouvé dans le partage rémunéré d’objets du quotidien une manière d’obtenir des compléments de revenus non négligeables en ces temps de disette. Mais ce partage-locatif s’est substitué – très souvent – au prêt ! Pourquoi prêter ma perceuse, ma chambre, le siège vide de ma voiture ou de mon camion quand je peux le louer ? Quand je peux en tirer profit ? Pourquoi prendre un auto-stoppeur alors que je peux prendre un covoitureur ? Cette économie du partage n’est en fait qu’une économie partagée et pas encore une économie du partage : c’est-à-dire une manière de vivre en société basée sur l’échange et le partage.

Donnant-donnant

Cette sharing economy tend non seulement à substituer le partage locatif au prêt inconditionnel mais aussi à faire valoir cet échange comme un véritable don. Les internautes « donnant » un produit sur internet (musiques, films, textes, logiciels libres), le font pour avoir, en contrepartie, accès à l’ensemble des fichiers déposés par les autres membres. C’est du « donnant-donnant » au nom de l’intérêt personnel. Il s’agit pour l’utilisateur d’internet de « prendre » ce qui est à disposition, sans jamais rien payer, en évacuant jusqu’à la question du « coût » – et même de la légalité ! Cette pratique est à l’opposé même du don qui s’effectue, de facto, sans arrière-pensées (Luc 14,12-14 ; Matthieu 5,46). Il n’est pas une œuvre dont je pourrai me servir. Il n’est pas pour moi mais bien pour l’autre et fondamentalement me venant d’un Autre, dont je ne fais que prolonger, par l’Esprit, le geste. Quelles seront les conséquences à long terme, pour nos Églises et notre théologie, si cette vision du don s’impose ? Seul l’avenir le dira mais il est probable que nous avons beaucoup à perdre… et pas seulement de l’argent !