Samedi matin 8 h. 30
Je pars pour le Centre Pénitentiaire où je suis aumônier depuis 5 années, visiter une femme détenue que j’accompagne depuis plus de deux ans maintenant. Cette jeune femme n’est pas chrétienne ; elle n’a pas donné son cœur à Jésus. Pourtant elle participe deux samedis par mois au partage biblique que j’anime à la Maison d’Arrêt des Femmes. Petit à petit, nous avons lié connaissance.
Cette femme à qui je pars rendre visite s’est vue condamnée la veille à 21 h. 30 par une Cour d’Assises à 30 ans de réclusion. Son procès a été médiatisé ; j’ai pu en suivre les différentes étapes via la Presse. J’ai ainsi appris les faits qui lui sont reprochés. Elle vient de vivre 5 jours de procès où elle et son mari ont été confrontés aux actes odieux qu’ils ont perpétrés et aux conséquences sur leurs petites victimes.
Comment vais-je la trouver ce matin ? que convient-il de dire dans ces moments-là ? Va-t-elle seulement être disponible pour me rencontrer ? Toutes ces questions s’agitent en moi.
Le long du trajet, le long des couloirs de la prison, je demande à Dieu de me précéder.
Me voici arrivée à la Maison d’Arrêt des Femmes. Je demande à voir la personne détenue. La surveillante m’installe dans un petit bureau et part la chercher.
Je suis maintenant près de la fenêtre du petit bureau, équipée de barreaux. Et là, d’autres questions me viennent : comment vais-je accueillir cette femme que j’ai déjà rencontré à de nombreuses reprises mais sans connaitre véritablement ses crimes ? quel regard vais-je porter sur elle « maintenant que je sais » ?
Enfin, elle arrive. Elle me salue, me regarde, s’assied sur la chaise et me dit « j’ai pris beaucoup, j’en ai pris pour 30 ans ». Je lui dis que « oui, je sais, j’ai suivi ton procès par voie de presse ».
Elle me dit les premières insultes de ses codétenues entendues ce matin à son réveil par la fenêtre. Ça parle déjà beaucoup en cours de promenade. Ça parle, ça juge, et ça condamne. Les nouvelles circulent à toute vitesse à l’intérieur de la maison d’arrêt. Transmises à une seule personne la veille au soir en rentrant du procès, c’est maintenant toute la détention qui sait. Et puis, il y a eu le journal télévisé hier qui en a parlé. Les regards que les codétenues poseront désormais sur elle ne seront plus ceux d’avant. Elles savent et par leur regard, désormais, elles condamneront.
Et elle raconte. Elle raconte les moments de ce procès qui l’ont le plus marquée. La sentence étant encore très récente, elle dit qu’elle n’a pas eu le temps de digérer pleinement la nouvelle.
Plus que raconter les faits du procès, elle raconte sa vie d’avant, son enfance, son manque d’affection, son manque d’éducation, elle raconte son viol à 16 ans, elle raconte combien elle aime son homme, même si ensemble, par pauvreté intellectuelle, par pauvreté affective, par manque de savoir être et de savoir vivre, ils ont fini par produire le pire.
Elle dit que ce procès lui aura finalement ouvert les yeux. Il lui aura permis de comprendre que ce qu’elle a fait était mal, interdit. Elle comprend que sa façon de vouloir s’en sortir seule, sans l’aide des services sociaux, pour rester digne dans son rôle de femme et de mère, l’a finalement menée à sa perte. Elle reconnait l’agressivité dont elle a fait preuve envers les différentes structures qui ont voulu l’aider, l’accompagner. Elle dit qu’elle doit changer.
Elle me demande ce qui va l’attendre ces jours prochains. Pourra-t-elle avoir un parloir avec son mari ? Vers quel Centre de Détention doit-elle être transférée ?
Nous échangeons.
Vient le temps pour moi de prendre congé. Je lui propose de prier, pour elle, mais aussi pour sa famille. Elle accepte et écoute les mots simples prononcés qui demandent l’accompagnement de Dieu dans sa vie et dans celle de ses proches.
A la fin de la prière, elle me remercie en me disant que c’était une belle prière. Et puis, émue, les larmes aux yeux, elle ajoute « tu sais, je n’étais pas sûre que tu viennes ce matin… après ce que j’ai fait ».
A mon tour d’être touchée, émue. Je lui dis que c’est la Justice qui était en charge de la juger et non moi. En mon être intérieur, je sais que j’ai ma réponse quant au regard posé sur elle. Mon regard posé sur cette femme détenue condamnée par la Justice n’a pas changé ; il reste le même que précédemment. Car ce regard qu’il m’est donné d’avoir pour elle, c’est celui de Jésus. Ce regard que Jésus porte sur chacun de ses enfants, rempli d’amour et de compassion. L’amour ne juge pas.
A la maison en écrivant ce témoignage, je relirai ces quelques versets de la première épitre de Paul aux Corinthiens :
« En effet, si je parlais les langues des hommes et même celles des anges mais sans avoir l’amour, je ne serais rien de plus qu’une trompette claironnante ou une cymbale bruyante.
2 Si j’avais des prophéties, si je connaissais tous les secrets et si je possédais toute la connaissance, si j’avais même dans toute sa plénitude, la foi jusqu’à transporter les montagnes, sans l’amour, je ne serais rien.
3 Si même je sacrifiais tous mes biens, et jusqu’à ma vie, pour aider les autres, au point de pouvoir m’en vanter, sans l’amour, cela ne me servirait de rien. »