En rejoignant le secteur de la santé, il y a une quinzaine d’années, j’ai découvert des personnes extraordinairement engagées mais également pris la mesure de toutes les contraintes et injonctions paradoxales qui peuvent entraver la qualité de la relation avec les personnes fragilisées et leurs proches, et entre collègues.

À la fin des années 2000, nous avons créé, pour les professionnels des établissements, une formation de trois jours, dont un dédié à la pratique de la philosophie. L’idée est née sur le terrain : nous constations que les soignants s’intéressaient de près aux « goûters philo » organisés pour les patients ou résidents.

Se demander ce qui est bien pour l’autre

La pratique nous a montré que se poser des questions était fondamental pour aborder la bientraitance en institution. Bien traiter, ce n’est pas seulement éviter la maltraitance, ni respecter un code de bonne conduite. C’est avant tout se questionner quotidiennement sur ce qui est bien pour l’autre.

Nous avons instauré des « comités bientraitance », instances composées de différents professionnels, sans hiérarchie aucune, dont le rôle est de prendre du recul et de proposer des actions concrètes, tant pour le bien-être des personnes accueillies que pour celui des collègues.

Depuis 2015, nous organisons des séminaires dédiés aux « ambassadeurs bientraitance » (membres des comités) : pendant deux jours, des professionnels de France et de Belgique imaginent ensemble l’établissement de demain (avec plus de mixité, d’ouverture, de choix…) et partagent leurs difficultés et réussites quotidiennes. Une démarche au long court ancrée sur nos pratiques.

Mettre en lumière les côtés positifs du métier

En 2018, la sortie au cinéma d’un documentaire réalisé par l’un de nos partenaires philosophes1 a marqué une nouvelle étape en promouvant l’aspect positif du métier de soignant, présenté le plus souvent sous un angle de pénibilité. De nombreux professionnels se sont formés pour accompagner des projections-débats partout en France.

L’année suivante, des familles de résidents ont participé à notre séminaire annuel à Noirmoutier. Au-delà de la richesse des échanges, ces journées ont ancré l’absolue nécessité de « faire alliance » avec les familles.

En 2020, les professionnels se sont adaptés et battus contre la Covid. Beaucoup de projets institutionnels ont été stoppés. Mais la culture de la bientraitance n’a paradoxalement jamais été autant au cœur des décisions opérationnelles et stratégiques. Des « ateliers résilience » ont été organisés massivement ; ils ont favorisé les échanges d’idées et de pratiques, des vécus dramatiques et des expériences positives sur lesquels capitaliser pour demain. Un deuxième documentaire a été réalisé à partir d’images tournées par les professionnels eux-mêmes2 mettant en lumière la solidarité, la créativité, la puissance de la joie.

En 2022, le sujet de la violence institutionnelle a pris une autre dimension dans le secteur des Ehpad, avec un scandale largement médiatisé. Sans commenter cette affaire, cela me conforte dans l’idée qu’une organisation a certes la responsabilité impérieuse de lutter contre la violence institutionnelle, mais plus encore celle de choisir clairement un cap de recherche du bien-être de ceux qui y vivent ou travaillent. Il lui appartient d’organiser le questionnement (y compris la contradiction) à tous les niveaux.

Par Juliette Lefèvre, DRH et appui transformation chez LNA Santé, entreprise familiale nantaise3

1 Bertrand Hagenmüller, Prendre soin, 2019.
2 Bertrand Hagenmüller, Première Ligne, 2022
3 Elle regroupe quatre-vingts établissements de santé et Ehpad.