Le 16 octobre 2020, Samuel Paty était assassiné par un islamiste. Le 13 octobre 2023, Dominique Bernard, lui aussi enseignant, mourrait de la même manière. Après une première série d’hommages dimanche et l’organisation d’une minute de silence lundi 14 octobre dans les collèges et les lycées de France, le ministère de l’Éducation nationale explique avoir reçu deux fois plus de demandes de protection fonctionnelle en 2023 qu’en 2021. Franceinfo précise que le dispositif permet d’obtenir le remboursement des frais d’avocat, une assistance juridique ou encore une prise en charge médicale.

En forte hausse, ces chiffres ne reflètent cependant pas la réalité selon les syndicats de l’éducation. En effet, de nombreux enseignants n’utiliseraient pas ce dispositif, alors qu’ils pourraient en bénéficier. Mise en place par la loi Le Pors de 1983, la protection fonctionnelle est proposée aux fonctionnaires par la collectivité qui les emploie. Dans le cas des enseignants, le dispositif peut être déclenché dès qu’il existe un risque manifeste d’atteinte grave à leur intégrité physique. Il peut s’agir de menaces ou d’actes d’intimidation. Le dispositif couvre aussi les victimes d’attaques telles que des injures, des diffamations, des violences, du harcèlement, etc. Il peut également être enclenché lors de poursuites pénales, lorsque les enseignants sont entendus en qualité de témoin assisté.

Une circulaire bénéfique

Pour bénéficier de la protection fonctionnelle, l’enseignant doit faire une demande écrite auprès de son employeur et prouver qu’il a subi des attaques en raison de sa profession. En novembre 2020, une circulaire avait été publiée. Elle appelait à une meilleure prise en compte et un « suivi systématique » des menaces ou agressions. Une consigne qui a certainement participé à l’essor du dispositif, comme la loi du 24 août 2021. Celle-ci conforte le respect des principes de la République.

Avant l’assassinat de Samuel Paty, le dispositif était peu connu. « Bien souvent nos collègues le découvraient quand ils faisaient face à une agression”, commente Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat des collèges et lycées. « Maintenant dès qu’un enseignant rencontre un problème, on lui dit d’en faire la demande », complète Guislaine David, secrétaire générale du Snuipp-FSU.

Une croissance de 123%

La demande peut être faite même lorsque les faits ont eu lieu en dehors de son établissement ou de ses heures de service, souligne un rapport sénatorial publié en mars 2024 ayant pour thème les menaces contre les enseignants. Si le doute doit toujours profiter à l’enseignant, le refus d’accorder la protection fonctionnelle peut être prononcé si la situation est imputable à l’enseignant. Il en va de même si elle va à l’encontre de l’intérêt général, c’est-à-dire si les “motifs [sont] susceptibles de discréditer l’administration” ou “en cas d’action en justice qui serait manifestement dépourvue de toute chance de succès”, indique le ministère.

Depuis 2020 et l’assassinat de Samuel Paty, les requêtes pour obtenir la protection fonctionnelle sont passées de 2 218 demandes en 2020 à 4 948 en 2023. Ce qui équivaut à une hausse de 123%. Elles concernent à parts presque égales les enseignants du premier degré comme ceux du second degré. Le motif principal de ces demandes (85,7%) était les atteintes volontaires à l’intégrité. Ces requêtes ont été accordées à 82,6%. L’année d’après, le nombre de demandes est passé à 3 733, soit une hausse de 16% en un an.

L’assistance juridique en tête

Quant à la principale action mise en œuvre, il s’agit de l’assistance juridique à 41%. « Le nombre des protections accordées continue à progresser en valeur nette », note l’administration. En revanche, le montant alloué à ces protections baisse, passant de 922 187 euros au total, contre 1 095 535 euros en 2022. Les syndicats tiennent à préciser que, selon eux, la progression des demandes masque des disparités de traitement. « L’accompagnement est plus ou moins bien fait en fonction des endroits. (…) Tout dépend des volontés individuelles », affirme Guislaine David. « Il y a eu quelques améliorations mais on est très loin du compte », confirme Sophie Vénétitay. Au point que cette dernière se demande si l’institution souhaite vraiment que la protection fonctionnelle se déploie largement. Et ce d’autant que le dispositif “est aussi le thermomètre de quelque chose qui ne va pas”.

Selon le rapport du Sénat, le nombre élevé de demandes de protection fonctionnelle « ne doit pas conduire à oublier la part d’enseignants qui ne font pas de demande alors même qu’ils pourraient en bénéficier ». Ces derniers renoncent « par découragement ou conviction que leur demande sera rejetée » ou bien « que l’octroi se traduira par des mesures dérisoires, inadaptées ou insuffisantes ».

Élargir le périmètre d’action de l’État

L’étude parlementaire met également en avant le fait que les délais moyens d’octroi de la protection fonctionnelle, 29 jours en 2022, sont peu compatibles avec « le besoin souvent urgent d’une protection effective ». Alors, dans le souci d’améliorer la situation, Anne Genetet, la ministre de l’Éducation, veut élargir le périmètre d’action de l’État. Dimanche 13 octobre, dans un entretien accordé à La Tribune Dimanche, elle a dit être favorable à modifier la loi pour que son ministère puisse déposer plainte pour un agent menacé.