L’autre comme un intrus
Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, la France est devenue progressivement une terre d’immigration de travail. Les représentations de l’autre se sont succédé, sur fond de construction nationale de l’idée républicaine mais aussi de montée du nationalisme. Ce thème de l’étranger concurrent des Français dans le travail a été l’un des leviers de la tuerie d’Aigues-Mortes en 1893. La violence est une représentation répandue. La politique extérieure est aussi convoquée : derrière l’autre, il y a le traître, surtout à l’approche de la Première Guerre mondiale, celui qui fait commerce avec l’ennemi et celui qui ne paie pas l’impôt du sang (le service militaire) tout en profitant de la richesse nationale. C’est pour répondre à cela qu’a été adoptée la loi de 1889 donnant accès à la nationalité française à ceux qui sont nés sur le sol français. Enfin, l’usage d’une langue étrangère est considéré comme un obstacle à l’assimilation.
L’autre comme un danger
Pendant l’entre-deux-guerres, l’autre est un danger : les thèmes de l’invasion silencieuse, de la dangerosité sociale, politique, sanitaire sont récupérés par le nationalisme d’extrême droite. En 1931, la France compte trois millions d’étrangers (7 % de la population), autant – en proportion – que les États-Unis. Elle est le premier pays d’immigration en Europe. La crise économique suscite une xénophobie virulente. Les coûts et avantages de l’immigration, et la santé, sont régulièrement évoqués par l’extrême droite. Pendant la guerre, des liens forts entre Français et étrangers se construisent dans la résistance autour de l’ennemi nazi tandis que l’extrême droite est discréditée.
Cette rupture se poursuit pendant les Trente Glorieuses (1945-1974). Avec la croissance économique et l’incorporation dans le monde du travail de la classe ouvrière, l’immigré devient un OS (ouvrier spécialisé). Le syndicalisme et les luttes des années 1970 contribuent à unir Français et immigrés dans un même combat.
L’autre comme un ennemi
Avec l’essor du regroupement familial lié à la suspension de l’immigration de travail salarié en France en 1974, l’autre apparaît dans la vie quotidienne dans un contexte de crise depuis 1973. Il suscitera les discours sur « l’invasion » (Valéry Giscard d’Estaing), « le bruit et les odeurs » (Jacques Chirac), « les sauvageons » (Jean-Pierre Chevènement), « la racaille » dont il faut « nettoyer la banlieue au karcher » (Nicolas Sarkozy).
En 1983-1984, l’islam commence à identifier « l’autre ». La révolution en Iran et la montée en puissance des pays du Golfe depuis la crise pétrolière de 1973 ont contribué à donner plus de visibilité à une religion hier cachée. Les « quartiers » deviennent aussi la nouvelle frontière entre « nous » et « les autres ». Peu après la montée du Front national aux municipales de 1983, Le Figaro magazine publie un article de Jean Raspail : « Serons-nous encore Français dans trente ans ? ». L’islam survient comme un défi culturel et un danger sécuritaire. L’autre devient le musulman.
L’autre défini par des frontières multiples
Une autre frontière, institutionnelle, se dessine, celle des extracommunautaires, soumis aux visas, donc parfois sans papiers et interpellés quand ils sont « visibles » (car colorés). La couleur de peau introduit également une frontière ethnique, distinguant Français dits d’« origine » et Français issus de l’immigration, sur laquelle se fondent souvent les discriminations policières.
Ces images de l’autre tranchent avec l’intégration lente et quotidienne des populations issues de l’immigration, et avec la créativité née de la diversité, manifeste dans la musique, la mode, la littérature, le sport et bien d’autres domaines.