Pour individualiser les parcours, l’accent doit être mis sur le dialogue avec l’usager. Cela suppose d’accepter de prendre des risques avec lui, comme dans toute phase d’apprentissage et donc, en parallèle, de mettre en place les filets de sécurité qui permettront d’éviter des ruptures trop brutales ou des échecs trop difficiles à surmonter. Mais c’est un chemin qu’il faut parcourir ensemble et qui laisse encore aujourd’hui trop de personnes privées, totalement ou partiellement, de leur capacité à choisir leur parcours de vie. 

Un équilibre difficile à trouver

La période de crise pandémique vécue en 2020-2021 n’a fait qu’ajouter de la contrainte, révélant ainsi des fonctionnements qui ont besoin d’être revus. Les directeurs d’établissement ont en effet été amenés à prendre des mesures contraignantes (fermeture des établissements, port du masque, distance physique, limitation des activités et des sorties, visites familiales réduites voire supprimées…) qui s’opposent au mouvement de transformation évoqué plus haut.

C’est là que surgit le difficile équilibre entre comportement éthique et mesures sécuritaires. Car les professionnels sont pris entre des exigences peu conciliables  : d’un côté, pour « protéger » les usagers, qu’on classe facilement parmi les personnes fragiles (est-ce justifié ?), on décide à leur place et, pour le bien de tous, on restreint fortement les libertés ; de l’autre, on clame partout : « Chez nous, c’est l’usager d’abord ! » Les professionnels sont tiraillés entre les aspirations et les craintes des usagers et de leur famille, mais aussi leurs propres inquiétudes en cas d’incident. 

Assumer le risque

Comment choisir ? Le choix privilégie-t-il le souhait de l’usager concerné ou la tranquillité du professionnel qui ne souhaite pas assumer un risque ? Car assumer le risque, n’est-ce pas là que se situe la difficulté quand notre société repose sur le « principe de précaution » ? Difficile dilemme : assumer le risque, est-ce potentiellement mettre autrui en danger ou l’aider à grandir en se frottant à des réalités parfois difficiles ? Et, en cas de problème, d’aggravation ou pire encore, ne risque-t-on pas le procès pour inertie ?

Un dialogue permanent, entre le terrain et la direction, entre l’établissement et ses partenaires, est bien sûr important en temps ordinaire, mais il devient plus essentiel encore dans les périodes de crise. Comment trouver des solutions justes ? C’est le sens de l’éthique, « la visée d’une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes », selon la célèbre formule de Paul Ricœur (1), discipline dynamique qui doit se réinventer sans cesse.

Pour ceux qui s’y réfèrent, la foi, qui nous aide à « viser plus haut », peut être une aide, principalement en période de tempête. Préserver au mieux la liberté d’existence, permettre aux usagers accompagnés de poursuivre leur chemin de vie en garantissant leur sécurité et celle des professionnels qui les accompagnent, sont deux objectifs à poursuivre conjointement.

Desserrer l’étau du cadre sécuritaire

Attention néanmoins : chaque fois qu’une mesure de contrainte doit être mise en place, il faut immédiatement penser au moyen d’en sortir. Et, le plus vite possible, recommencer à bâtir des projets avec les usagers, prendre avec eux les risques d’une autonomie toujours plus grande. C’est là que notre sens éthique sera mis pleinement en question : dès que nous le pourrons, soyons prêts à desserrer l’étau du cadre sécuritaire imposé, pour permettre aux personnes que nous accompagnons d’exercer le plus librement possible leurs prérogatives de citoyens. Ils en ont le droit, donnons-leur les moyens. 

Jean-Pierre Boissonnat, président de l’AEDE, directeur général du Carrefour d’accompagnement public social

1 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.