J’ai fait mes armes dans le privé lucratif. Très vite, j’ai perçu de nombreux dysfonctionnements que j’ai dénoncés, ce qui n’a pas plu. J’ai dû quitter le groupe mais cette expérience a été très formatrice et surtout, je savais en partant ce que je ne voulais plus faire ni être.
Notre Ehpad a quatre-vingt-quinze lits. Je crois qu’on ne peut pas diriger un Ehpad comme une entreprise et, en même temps, prôner une démarche qualité. Nos actions sont transversales, avec une pluridisciplinarité très importante et une forte pénibilité au travail. Pour accompagner convenablement nos résidents, il faut commencer par prendre soin de notre personnel. Quand les salariés sont heureux, les résidents le sont aussi.
Prendre soin du personnel
Nos salariés, à leur demande, travaillent dix heures. Ils passent donc la plus grande partie de leur journée dans l’établissement. Nous avons mis à leur disposition une salle de sport, deux salles dédiées avec des fauteuils massants et des kinés si besoin, trois salles de pause avec coins repas, télé, musique, bibliothèque et petites alcôves où ils peuvent s’isoler pour dormir. Nous avons aussi une micro-crèche sur le site ; un café et un salon de coiffure-esthétique pour tous ouvriront prochainement.
Notre personnel est autonome et libre de s’exprimer. Chacun a son rôle, sa place, son expertise, une liberté d’action. Chacun est respecté, valorisé. C’est essentiel dans le médico-social tant le travail y est difficile. S’il n’y a ni confiance ni considération, c’est catastrophique !
Nous, directeurs et managers, devons arrêter d’être bons élèves face aux injonctions ingérables, en inadéquation avec notre travail, comme celles qui concernent la démarche qualité. La qualité, c’est aussi dire nos limites. La transparence prévaut, avec les familles aussi. Je ne dénigre jamais le personnel si elles me prennent à partie. Nous faisons le maximum pour personnaliser l’accueil mais nous ne promettons jamais l’impossible, ce qui évite bon nombre de problèmes. Pour qu’une fin de vie soit réussie en Ehpad, il faut être cohérent avec la famille et soutenir le personnel qui est sur le front.
Composer avec les réalités budgétaires
Au Foyer du Romarin, en accord avec les valeurs portées par l’Association pour une vieillesse heureuse, nous préférons payer davantage des CDD pour tenter de les fidéliser, plutôt que de leur enlever leur prime de précarité, selon certaines préconisations. Ils assurent une stabilité. D’ailleurs plusieurs demandent des CDI. La société change, les attentes aussi. Les « vieux », quoi qu’on en dise, n’intéressent personne. Nous devons nous adapter en permanence, avec un modèle économique complètement obsolète. On arrive à maintenir le cap, on a très peu d’absentéisme et de turn-over.
Nous sommes en déficit parce que nous ne voulons pas déroger à la qualité d’accompagnement. Les subventions sont de plus en plus rares, nous prenons sur nos fonds propres pour embaucher un poste et demi hors budget, conserver une pluralité d’animations et prendre soin de nos salariés, mais ça ne durera pas. Nous recevons peu de dons. Le grand public se mobilise pour des causes comme la mucoviscidose ou le cancer, qui ne toucheront pas tout le monde, et boude la vieillesse qui nous concerne tous. On évite de se projeter. Je pense que la vieillesse devrait être une première cause nationale.