Réagissant à des propos de Jean-François Colosimo, Jean-Paul Sanfourche voit dans cette « perte de repères communs » liée à la déchristianisation le signe qu’il est urgent de redéfinir une « forme possible d’identité, ouverte aux recompositions » et donc en France « une réinterprétation des valeurs républicaines (…) à la lumière des enjeux contemporains ».
« Au plan international, la démocratie est en recul partout. Au passage, les deux cartes coïncident: lorsque le christianisme recule, la démocratie est en recul. En France, il y a un véritable problème de démocratie représentative. Le système de représentation ne va plus. (…) Ce qu’il faut, c’est retrouver une sorte d’identité française qui ne serait pas captée par les extrêmes et qui pourrait rallier en fait les énergies. C’est plutôt ça la véritable question » (Jean-François Colosimo).
Lors de l’émission Esprits Libres (Radio Classique) du mardi 7 octobre (1), l’éditeur, essayiste et théologien Jean-François Colosimo a dressé ce constat sévère sur l’état de la démocratie en France. Constat que nous partageons, et dont nous avons déjà développé ici certains éléments. Au risque de nous répéter, mais dans un unique souci de comprendre, nous voudrions examiner les différents axes de ce propos, à vrai dire très complexe malgré son apparente simplicité et sa fausse évidence. En fin d’émission, au lieu de se perdre en vains commentaires sur le pitoyable spectacle que nos politiques nous offrent, et qui nous plonge dans un marasme dont nous mettrons longtemps à sortir, le théologien orthodoxe prend de la hauteur, inscrit la crise que nous traversons dans le contexte plus large d’une crise mondiale de la démocratie, et soulève la question délicate d’une crise morale, identitaire et politique.
Le recul mondial de la démocratie
«Au plan international, la démocratie est en recul partout.» L’organisation Freedom House (2) publie régulièrement des rapports et des indices qui montrent de manière objective un recul des libertés démocratiques dans de nombreuses régions du monde. Évidemment, on pense en priorité à la Russie, à la Chine ou à l’Inde, ou à certains pays africains ou sud-américains. Mais on oublie souvent que cette crise affecte aussi nos vieilles démocraties. Car cette tendance à l’érosion démocratique dans des régimes instables semble alimenter et renforcer une défiance vis-à-vis du modèle démocratique occidental. On observe, dans nos démocraties dites consolidées (États-Unis, Europe, Japon) la montée des mouvements populistes hostiles aux élites, aux médias traditionnels voire aux institutions représentatives à l’égard desquelles se construit une sorte d’insidieuse remise en cause de l’État de droit. À cela s’ajoute une polarisation structurant de plus en plus la vie politique, affaiblissant le débat démocratique et faisant systématiquement obstacle à tout effort de consensus. La désinformation organisée (réseaux sociaux), la participation électorale en baisse, un vague sentiment d’abandon, de détresse, d’exclusion d’une partie de la population contribue à ce désenchantement démocratique. Ainsi des partis extrémistes et auparavant marginaux gagnent du terrain et menacent d’entrer aux gouvernements. Est-ce une crise systémique ? Confrontés à l’inefficacité perçue (et parfois bien réelle) des systèmes politiques, les électeurs se tournent, en désespoir de cause, mais oublieux de l’Histoire, vers les régimes autoritaires ou dits illibéraux.
Une crise de la représentation
D’année en année, nous éprouvons tous le sentiment d’une déconnexion entre la sphère politique et la réalité vécue, la vraie vie. Éloignement qui alimente les extrêmes et nourrit les discours de rupture avec les formes institutionnalisées de la politique. «En France, il y a un véritable problème de démocratie représentative.» En effet, nous vivons une crise profonde de la démocratie représentative. Comme si cette distanciation vidait de sa substance le pacte démocratique selon lequel la représentation politique incarne (ou est censée incarner) la médiation entre le peuple et ses gouvernants. Comme si le système représentatif ne suffisait plus à assurer la légitimité de la décision politique. Déficit de légitimité qui s’explique en partie par l’impuissance, la méconnaissance, voire l’indifférence des représentants politiques face aux enjeux concrets: inégalités territoriales, précarité économique, perte du sens du travail, crise écologique, crise de la dette, etc. Car la réponse publique apparaît trop souvent insuffisante lorsqu’elle n’est pas inexistante ! Jean-François Colosimo laisse entendre que la crise actuelle ne relève pas d’un unique dysfonctionnement conjoncturel, mais d’un malaise qui appelle une refondation du lien démocratique. Élus, les gouvernants n’en sont pas pour autant légitimes. Encore faut-il qu’ils parviennent à incarner l’intérêt général, à répondre aux attentes et à restaurer ainsi la confiance dans la parole publique. Sans traduire un quelconque épuisement du modèle démocratique, cette «grave crise de régime» (crise du régime ?) qui affecte notre pays ne se limite cependant pas à un simple dysfonctionnement institutionnel. La démocratie française, héritière de la cinquième République, repose sur l’équilibre fragile entre un exécutif fort et la participation citoyenne. Et c’est cet équilibre qui a été (délibérément ?) rompu par une délégitimation progressive du régime représentatif.
Démocratie et christianisme
Il faut le reconnaître: la crise que nous traversons est d’une intensité inédite. Parce qu’elle n’est pas seulement politique. Elle est essentiellement […]

