Il existe des militants « toutes causes », l’essentiel étant que les médias parlent d’eux. Les faits divers sont leur cible privilégiée. Il est plus important à leurs yeux d’être présents et vus que de défendre une cause particulière.

Il existe aussi des manifestations massives occasionnées par une tragédie. L’exemple le plus emblématique est celle qui a réuni, après l’attentat de Charlie Hebdo, près de cinq millions de personnes – dont aucune n’était reconnaissable, hormis les manifestants de la première ligne, dirigeants politiques ou syndicaux. Chacun a le désir d’être vu et, plus encore, le sentiment qu’il lui faut être présent pour l’Histoire.

Notre époque abonde de protestations qui ne font courir aucun risque à ceux qui plaident. Cela tient plus du rituel de la liberté républicaine que de l’engagement personnel vrai. Le seul critère, à mon avis, qui donne du sens à un plaidoyer demeure le risque encouru. La meilleure illustration en est le Manifeste des 121 avec son appel à l’insoumission des soldats dans la guerre d’Algérie et son encouragement à déserter.

Certains signataires ont été arrêtés et leur carrière interrompue. Presque soixante ans plus tard, leur nom était héroïsé. Il en va de même des trois cent quarante-trois manifestantes pour l’avortement avant la loi Veil ; là encore, le risque n’était pas négligeable.

Affronter l’hostilité du plus grand nombre ne signifie pas avoir raison, mais donne du sens au plaidoyer. Plaider, en 2024, pour limiter l’accès aux thérapies médicamenteuses qui empêchent la survenue de la puberté des filles se heurte à l’accusation simpliste d’être transphobe et expose ceux qui soutiennent cette interdiction à une mise au pilori d’une grande violence. En revanche, ceux qui encouragent ces thérapies prépubertaires le font dans l’indifférence absolue.

En conclusion, un plaidoyer doit vous exposer à un risque. C’est le critère majeur. Mais une « société liquide », selon l’expression de Zygmunt Bauman, finit par tolérer toutes les transgressions. Existe-t-il encore une place pour un plaidoyer responsable ?