En particulier, leur dimension monstrueuse est liée à au risque de récidive après leur sortie de prison, qui est la hantise des familles des victimes et des pouvoirs publics. C’est pourquoi, quand l’un d’eux se suicide en détention, la nouvelle est vite oubliée, et même, parfois, accueillie avec un sentiment confus de satisfaction, car « ça en fait un de moins ».
Que ces personnes puissent se suicider va à l’encontre de l’opinion commune, car cela est en opposition à leur image de criminel pervers, cruel et sans aucune moralité. Pourtant, les professionnels intervenants en détention sont fréquemment confrontés à cette réalité.
Pour comprendre les raisons du suicide, il est nécessaire de souligner que les profils psychologiques des agresseurs sexuels sont très variés. Certains ont un fonctionnement pervers de prédateur sexuel ; ils ne se remettent jamais en cause, proclament leur innocence et n’hésitent pas à accuser leurs victimes de dénonciation calomnieuse. D’autres agissent uniquement au sein d’un groupe de complices, car ils n’auraient pas le courage d’agir seuls ; généralement, le groupe en question fait partie de leur entourage proche : frères, cousins, amis d’enfance, mais parfois aussi épouse ou compagne. Ils ont tendance à se déresponsabiliser et évitent la question de leur culpabilité, renvoyant la faute sur leurs complices, se disant victimes d’un phénomène d’ « entrainement » par le groupe.
Il existe, à l’inverse, un certain nombre d’agresseurs qui agissent la plupart du temps seuls. Ils assument leur culpabilité, et expliquent qu’ils sont passés à l’acte car ils ne pouvaient pas résister à leurs pulsions ; la plupart du temps, ils en reconnaissent le caractère pathologique et criminel. Ces détenus sont les plus à risque du passage à l’acte suicidaire, car ils ressentent un fort sentiment de honte et de culpabilité.
Paul est condamné pour abus sexuel. Il a clairement identifié ses pulsions avant même de les commettre puis d’être incarcéré. Il ne voit pas la solution à ce problème qui pour lui est irrémédiable. Alors il songe au suicide ou plutôt à l’euthanasie selon ses propos.
La prise en charge en milieu carcéral est particulièrement complexe, car elle concerne deux types de problèmes de natures très distinctes. D’une part la dimension pulsionnelle, pour tout ce qui concerne l’acte lui-même, d’autre part la dimension morale, pour les sentiments de culpabilité associés à l’acte. C’est pourquoi deux types de réponses distinctes sont nécessaires, la première clinique, la deuxième spirituelle. La première est prise en charge par les psychologues et psychiatres, se situant sur le plan médical, elle ne soulève aucune polémique. La seconde est plus difficile à prendre en charge, car elle suscite une polémique d’ordre moral. Inévitablement se pose la question du pardon de la faute, ce que l’opinion publique n’accepte pas, car elle la confond avec une forme d’excuse de l’acte, si ce n’est de sympathie, et parfois même de complicité, avec l’auteur de l’agression.
Sentiment de culpabilité et de honte
Or sans pardon, le sentiment de culpabilité et de honte reste toujours présent, et quand il dépasse les ressources spirituelles de la personne concernée, il peut fréquemment générer un sentiment d’angoisse qui le pousse au suicide.
Pierre a commis un inceste et a été condamné à 18 ans. Il se retrouve sans plus aucune attache familiale ou même amicale à l’exception d’un seul cousin. Son sentiment de culpabilité est toujours aussi grand ainsi que son remords à un an de sa libération. Cette libération l’effraie : quel monde va-t-il retrouver après plus de dix ans d’incarcération ? Que faire dehors, à plus de soixante ans, alors que personne ne l’attend ? A quoi occuper sa vie à l’extérieur ? La « solution » du suicide est souvent présente à son esprit.
La question de la sortie de prison pose celle de la resocialisation, car quand la personne a reconnu sa faute et accepté sa punition, ces deux conditions sont nécessaires mais non suffisantes pour lui permettre d’être réintégré dans la société. L’ultime condition nécessaire est le pardon pour ses actes, ce qui est l’affaire de la victime et de toutes les personnes blessées par l’acte. A défaut d’obtenir ce pardon, la personne a besoin qu’une autorité lui témoigne de la reconnaissance de la sincérité de son repentir. Il est d’ailleurs caractéristique d’entendre la personne réaffirmer très souvent qu’elle n’est pas dans le déni de ses actes, qu’elle a toujours reconnu, dès le départ.
Cette reconnaissance de la sincérité fait appel à une parole qui n’est pas juridique ou clinique mais qui est spirituelle. Ni le juge ni le psychologue ne peuvent la donner, elle est l’apanage de l’aumônier. C’est pourquoi son intervention auprès des auteurs de violences et crimes sexuels est particulièrement sensible. L’enjeu n’est pas d’absoudre l’auteur d’un crime particulier, mais d’aider la personne à faire face à ses pulsions suicidaires.
Car ce n’est pas une absolution qui est recherchée par l’agresseur. Le plus souvent l’échange avec l’aumônier est un support pour verbaliser ses regrets, son remords, sa souffrance… Il sait que ce pardon, comme le lui répète l’aumônier protestant, lui est donné par Dieu. C’est d’ailleurs parfois difficile à accepter pour lui ! Mais il entend que comprendre ou expliquer son acte ne signifie pas l’excuser pour autant et que la grâce de Dieu se traduit par la conversion, comprise comme changement, modification de la direction donnée à sa vie. C’est pourquoi l’espérance doit soutenir cette entreprise de transformation et qu’il faut vivre pour la mettre en œuvre.