Un participant témoigne : « Un jour, deux jeunes femmes vinrent frapper à la porte de la Centrale. Elles venaient voir des vieux… afin de leur proposer un atelier d’écriture. De quoi qu’on cause ? De nos souvenirs (nombreux) de notre vie ? Pour évaluer la capacité mentale et le temps de réaction de nos vieux neurones ? »
« Au début, je ne parlais pas… »
Cet atelier sur le vieillissement en prison est né d’une constatation : très peu de choses sont mises en place pour les personnes âgées en prison, alors que leur isolement et leur déshérence sont plus accentués encore. Comme s’ils étaient devenus invisibles aux yeux des gens de l’extérieur ! Alors en collaboration avec l’UCSA (Unité de consultation et de soins ambulatoires) et avec le personnel d’insertion et de probation, un rendez-vous régulier a été mis en place, ouvert aux détenus de plus de cinquante-sept ans désireux de participer à cet atelier d’écriture qui leur a été présenté lors d’une première rencontre.
Le mardi après-midi devient alors un lieu de réflexion intense, de construction et de création, un moment que nous ne voulons pas manquer, qui nous amènera quelques mois plus tard à la fabrication d’un film documentaire sur le vieillissement, « Vieillir à l’ombre ». Les textes seront publiés dans un recueil.
Un participant raconte : « Au début je ne parlais pas car je pensais que je n’intéressais personne et que ma vie n’avait pas d’intérêt, mais après quelques mois passés, une confiance réciproque s’est installée entre nous, et nos cœurs se sont ouverts, au point que je ressens du plaisir à venir rencontrer mes compagnons d’atelier et me confier sans méfiance ni arrière-pensée. Je me sens différent et avec une vision de la vie positive, et cela me servira sûrement à préparer ma vie future, une fois libéré. Cet atelier m’a donné le goût du partage, du temps passé ensemble à échanger nos idées. Sans oublier les petites douceurs qu’un participant ramène quand on se rencontre ! Une fois en liberté je me souviendrai longtemps des mardis après-midi et du bien-être que je ressentais en rentrant dans ma cellule ! Personnellement, je remercie les gens venant de l’extérieur et souhaite qu’ils se sentent plus riches grâce aux échanges que nous avons ensemble. »
Expression individuelle en groupe
Cet atelier a comme finalité d’écrire des textes et d’échanger sur la thématique du vieillissement, dans un double registre, à la fois personnel et philosophique : exercices et jeux d’écriture, avec des contraintes ludiques faisant appel à l’imagination, la réflexion et au vécu, à partir d’un texte, de photos, d’un alphabet sur les souvenirs agréables… Chacun écrit seul ou avec l’aide de l’infirmière de l’UCSA s’il a des difficultés avec l’écriture ou la langue française.
La lecture de ces textes à haute voix permet d’entamer un débat entre participants, où ils échangent expériences et réflexions. Au-delà de la qualité des textes et des idées exprimées, du réel investissement dans l’atelier des participants, de leur plaisir à être entendus et à écouter les autres, c’est l’esprit de groupe, respectueux, ouvert, chaleureux qui nous paraît être la véritable réussite de cet atelier. Des détenus participant à cet atelier le confirment : « Je suis toujours un peu méfiant envers ceux qui viennent de l’extérieur, avec leur voyeurisme ou leur idées déjà préconçues sur la prison, mais là je n’ai pas senti çà ! Au contraire on nous a donné un thème « vieillir en prison » et on a travaillé dessus, chacun à sa manière, avec son vécu, son expérience, tout çà à partager avec les autres. Parfois on s’échappait du thème, on était hors sujet, mais toujours avec tact et respect on revenait dans les grandes lignes, heureux d’avoir soulagé notre envie véhémente de parler de notre détention. Combien de fois j’ai eu des palabres comme avec des amis, des collègues de travail, de la famille… Ces réunions m’ont ramené à l’extérieur ! » Ou encore : « Dans chaque écrit que je leur ai fourni, j’ai parlé de moi, de mon vécu, mais en laissant une porte ouverte à ceux qui pensent comme çà, qui ont les mêmes colères, les mêmes envies, les mêmes souffrances. J’ai pu leur parler de la façon dont on était traités, les injustices qu’on vivait, leur faire toucher parfois la misère de notre univers de tous les jours. »
Une expérience passionnante, alors à ceux qui ont partagé cet atelier d’écriture, je leur dis que les meilleures aventures sont celles qui se terminent, car elles permettent à d’autres de commencer.
Article rédigé par Johanna Bedeau, co-animatrice de l’atelier d’écriture à la Maison centrale de Poissy (78). Avec la participation de Patrick, Claude, Louis, Monique et Mariannick.
« Une fois en liberté je me souviendrai longtemps des mardis après-midi et du bien-être que je ressentais en rentrant dans ma cellule ! »