Après avoir profondément modifié l’industrie et même l’artisanat par l’automatisation de nombreuses tâches mécaniques, la technologie, d’abord avec la bonne vieille informatique puis avec la plus récente Intelligence Artificielle, bouleverse notre façon d’appréhender des tâches plus intellectuelles. Après les cols bleus, voilà les cols blancs, à leur tour, menacés dans leur travail. À la fin, l’homme n’aura-t-il plus rien à faire? Les machines s’occuperont-elles de tout? La question de savoir ce qui se passerait alors – la machine se débarrassera-t-elle de l’humain inutile? Ou bien, grâce à la taxation des machines, l’humanité pourra-t-elle vivre sans travailler? – ne sera pas abordée dans cet article. Nous nous attacherons plutôt à évaluer l’impact que l’intelligence artificielle peut avoir sur les métiers qualifiés d’intellectuels. Dans quelle mesure peut-elle vraiment, fonctionnellement, remplir des tâches à la place de spécialistes, mais aussi à quel prix? Même si beaucoup s’y essaient, faire des prédictions précises et chiffrées sur l’évolution de l’emploi relève plus du pari ou de la profession de foi. L’ambition de ces quelques pages est de fournir des éléments d’appréciation sur la façon dont l’homme et la machine vont se partager le travail.
Quelques rappels techniques et historiques
Avant d’entrer dans l’analyse des menaces que l’Intelligence Artificielle (IA) fait peser sur certaines professions, il convient de s’accorder sur ce que ce terme recouvre. Dans le cadre de cet article, nous considèrerons qu’il désigne deux grandes familles d’algorithmes: l’IA symbolique et l’IA connexionniste. La première permet à un ordinateur de manipuler des connaissances, de la même façon qu’il manipule des nombres. Son instanciation la plus célèbre est le système expert. Les connaissances sont, dans ce cas, modélisées sous forme de règles, qui prennent la forme d’hypothèses et de conclusion («si le patient a de la fièvre, a perdu le goût et l’odorat, alors il est atteint de la Covid-19»). Des moteurs d’inférence, outils informatiques capables d’appliquer les lois de la logique, pourront exploiter toutes ces règles pour prendre une décision. L’exemple cité illustre les limites de ce genre d’approche : des règles simples ne permettent pas toujours de décrire la complexité de la connaissance à modéliser. L’IA connexionniste, quant à elle, ne dispose pas d’un modèle de connaissances, mais va en construire un à partir d’exemples […]