Depuis sa sortie de prison en 1987, Yazid Kherfi aide les jeunes des cités et explique aux adultes le cheminement de la violence. Le gamin de Mantes-La-Jolie est aujourd’hui animateur social, éducateur, professeur et spécialiste des politiques de prévention et de sécurité.

La violence est toujours un échec, mais elle est aussi un moyen de communication. Il faut arriver à transformer la violence en conflit. Le conflit permet de construire, d’apprendre à discuter, y compris avec des gens avec qui on n’est pas d’accord. Quand j’organise des rencontres entre jeunes et policiers, j’organise du conflit. S’il n’y a pas de conflit, il y a de la violence. L’important est de sortir du conflit par quelque chose de non violent.

Les jeunes s’ennuient le soir

Il n’y a rien d’ouvert le soir, à part les commissariats et les hôpitaux. Or, il y a plein de jeunes qui errent dans les rues. Quand on s’ennuie, on a tendance à faire des bêtises. Il faut ouvrir des lieux de parole, pour se poser, se rencontrer et discuter avec des gens bienveillants : sinon ça se fait dans les halls d’immeubles, ça fait du bruit, ça gêne les voisins, ça génère un sentiment d’insécurité…

Je rencontre les élus, les travailleurs sociaux, la police. Les villes ne veulent pas de local pour les jeunes. Je peux mettre un barnum, des tables et des chaises, si j’enlève tout en fin de soirée. Les jeunes viennent : il y a de la lumière, du thé et du café, des gâteaux, des jeux. Il faut provoquer la rencontre : spontanément, les gens ne se mélangent pas. C’est la logique de guerre. La logique de paix, c’est qu’on a intérêt à se parler.

La violence gratuite, ça n’existe pas. Il y a toujours des raisons derrière la violence. J’essaie de créer une relation de confiance, et de comprendre. Pourquoi ils lancent des pierres, pourquoi ils agissent comme ça. Comprendre, ce n’est pas justifier. 

On ne peut pas agir sur la violence si on n’écoute pas les violents. Les jeunes sont révoltés par ce qui se passe et ils peuvent en venir à brûler le centre social… Si on met en place des choses qui ne correspondent pas du tout à leurs demandes, ou que rien n’est ouvert le soir, les jeunes peuvent avoir l’impression que les gens ne les aiment pas. Ils se montent la tête entre eux, se radicalisent et finissent par passer à l’acte… 

Faire connaissance, se parler

Les maisons des jeunes ont souvent des horaires de mairie. Je leur dis d’arrêter d’ouvrir le matin, quand il n’y a personne : « Venez plutôt l’après-midi et fermez plus tard le soir ! »

On peut développer des espaces où la police et les jeunes se rencontrent, font connaissance, se parlent ; ça permet de supprimer des malentendus, des préjugés. C’est mon travail : provoquer la rencontre pour se connaître. Se respecter. Vivre ensemble… Médiation nomade 1 est un provocateur de rencontres entre gens qui, d’eux-mêmes, ne se seraient jamais rencontrés.

Les choses changent. On constate des progrès, depuis dix ans. Chez certains jeunes, il y a eu un déclic, ils agissent autrement. Il y a des villes dont les structures fermaient à 18 heures et qui, maintenant, ferment à 22 heures. Des villes où on a organisé des rencontres entre les jeunes et la police, des débats pour les élus, les politiques, et après, ils agissent autrement.

Une quinzaine de villes en France ont à présent un camion comme le mien qui s’installe sur l’espace public. Les institutions vont plus souvent à la rencontre des gens, au pied des immeubles, en horaires décalés.

On apporte de l’espoir, aux politiques, aux habitants, aux jeunes. La bienveillance, c’est aller vers l’autre, dire qu’on est là parce qu’on l’aime, qu’on peut faire des choses ensemble. Il y a toujours une solution. 

Propos recueillis par Marion Rouillard

1 Médiation nomade, la parole plus forte que la violence, www.mediationnomade.fr/