Le 21 janvier dernier, l’Assemblée Nationale a voté la suppression de la « situation de détresse » dans le texte de loi qui autorise l’avortement. Ce vote a profondément divisé l’hémicycle. Pourquoi ? Le point de vue des deux polémistes permettra à chacun de se faire une idée.
Pour
Pour ne pas couper des ailes
Le droit à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) est un acquis récent des femmes (1975). Certains voudraient le remettre en question. Ce droit à l’IVG doit donc être réaffirmé et s’adapter aux nouveaux contextes dans lequel il est pratiqué. Quels sont-ils ?
Aujourd’hui, la femme ne recourt plus à l’IVG parce que sa grossesse la « place dans une situation de détresse ». Au dire des gynécologues, l’IVG est pratiquée par les adolescentes et par les femmes de plus de 40 ans. Pourquoi ?
Mai 68 ayant libéré la sexualité, les jeunes filles ont un premier rapport plus jeune mais sont toujours mal informées sur la contraception et sur leur sexualité. Elles ne sont pas à proprement parler « en situation de détresse » mais cette grossesse non désirée peut être dommageable pour l’enfant et pour elle venant, pour ainsi dire, leur couper les ailes.
À l’autre bout de la chaine, il y a les femmes de plus de 40 ans. Des problèmes de santé les contraignent parfois à se passer d’un contraceptif qui a fait ses preuves. Et c’est quand elles s’y attendent le moins que la grossesse arrive. Ayant déjà des enfants, elles « ne souhaitent pas poursuivre une grossesse » qui va venir profondément perturber leur équilibre familial, conjugal et professionnel.
Bref, si aujourd’hui une femme recourt à l’IVG, ce n’est pas à cause de ses mœurs légères. Ce n’est pas par gaieté de cœur, comme le disait Mme Veil dans son discours de 1975. C’est toujours et encore une contrainte et un déchirement.
La modification de la Loi permet de déculpabiliser ces femmes, jeunes ou plus âgées, pour qu’elles poursuivent leur vie avec joie et confiance. Un goût d’Évangile, non ?
Christophe Jacon
Contre
Où va-t-on ?
« Libre et responsable », l’expression est alléchante. Sans entrer dans le parti-pris idéologique ou évoquer une conviction religieuse, comment se comprend donc aujourd’hui l’expression : user de sa liberté, prendre ses responsabilités ? Peut-on le résumer à un désir personnel ? À un droit immuable, garant d’une humanité adulte et assumée ? Notre humanité, au passage, se fait fort de maîtriser les accidents de la vie, d’éloigner le spectre du handicap, de fixer le cadre, les critères et les limites du droit de vivre.
L’avortement n’est plus désormais l’ultime réponse à un drame humain ; il est devenu au-delà même de l’exigence sociale, voire d’un enjeu féministe, un moyen de contraception, comme un autre.
Toute entrée non planifiée, sans condition, dans notre monde, appartient désormais à la classe : « miracle de la vie ». Il n’y a presque plus d’enfant « surprise » qui n’a pas été soupesé, pardonnez-moi l’expression : calibré, jugé « bon pour l’entrée dans la vie ».
L’homme est donc entré dans la catégorie des biens consommables et jetables. À la morale de décider si c’est un bien ou un mal. Et la sélection est rude : pas le bon sexe, pas adapté, pas assez vigoureux, pas le bon moment, pas beau, pas aimé…
Question ultime, c’est comme ça l’humanité, c’est ça un homme ? Un bout de chair quantifiable, rentable, jetable et de surcroit biodégradable ? J’ai mal à cet homme-là qui s’est amputé tout seul de son petit supplément d’âme.
Anne Heimerdinger