Par Gilles Vidal, doyen de l’IPT-Montpellier

Depuis la fin du XIXe siècle, le protestantisme français a développé des liens très étroits avec la Nouvelle-Calédonie. Les premiers missionnaires protestants français organisèrent la mission et l’Église protestante de Nouméa. En 1960, la Mission cède la place à l’Église évangélique en Nouvelle-Calédonie et aux Îles Loyauté (EENCIL), autonome et administrée par des cadres kanak ; une Église libre se crée parallèlement. Contrairement à plusieurs États insulaires voisins, l’autonomie religieuse ne s’est pas accompagnée de l’indépendance politique. Celle-ci a été revendiquée dès les années 1970 par une partie des Kanak. En 1979, l’EENCIL, essentiellement composée de Kanak, prend officiellement position en synode en faveur de l’indépendance, ce qui entraîne une prise de distance du petit nombre de ses membres appartenant à d’autres ethnies.

Construire « une communauté de destin »

Les années 1980 furent celles « des événements », situation de quasi-guerre civile. En 1988, les Accords de Matignon-Oudinot entre indépendantistes et loyalistes ont mis en place une période de rééquilibrage de 10 ans auxquels a succédé un autre accord, celui de Nouméa, en 1998. Durant une période 30 ans, le Territoire devait expérimenter – dans un cadre juridique inédit comprenant un corps électoral limité – une gestion très autonome dans l’objectif de construire « une communauté de destin ». L’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie (EPKNC : le changement de nom a eu lieu en 2013) a accompagné ce temps, notamment par le programme d’études bibliques « faire chemin ensemble ».

Au terme de cette période, trois référendums ont été organisés, en 2018, 2020 et 2021. Les deux premiers ont dégagé une courte majorité contre l’indépendance mais le dernier, du 12 décembre 2021, a été faussé du fait de la non-participation des indépendantistes au scrutin, notamment parce que la pandémie de Covid a désorganisé les cérémonies de deuils des nombreuses victimes de la maladie. Aujourd’hui, le dialogue politique semble dans une impasse et la population semble lasse de cette logique de blocs.

Une population divisée

Certes, et heureusement, la violence et la haine de l’autre ont disparu du champ politique. Mais il en va autrement dans la société avec une population jeune dans un bassin d’emploi limité, un endettement public important, un taux d’accidents de la route dus à une consommation d’alcool et de cannabis effarant, des violences domestiques élevées et des inégalités sociales où l’on remarque que les Kanak figurent encore parmi les plus défavorisés.

Avec l’Église catholique, plus diversifiée ethniquement, l’EPKNC fait partie des forces morales sur lesquelles le gouvernement compte s’appuyer pour envisager l’avenir, à côté des autorités coutumières et d’un « comité des sages » représentatif de la société civile. Dès le lendemain du scrutin, l’Église – bien implantée en brousse et sur les îles Loyauté, mais moins à Nouméa – a été contactée pour faciliter la reprise du dialogue entre toutes les parties. Le défi politique est la mise en place d’un nouveau statut constitutionnel d’ici août 2023.

Le défi spirituel de l’Église sera d’accompagner une fois de plus une population divisée, presque désabusée sur l’idée pourtant si prometteuse du « destin commun » énoncée en 1998.