Justice-aumônerie des prisons – JAP -, le service d’aumônerie des prisons de la Fédération Protestante de France, entretient depuis de nombreuses années des liens forts avec l’association internationale d’aumôniers de prison, IPCA (International Prison Chaplains Association). Ces liens se sont encore renforcés depuis qu’en juin 2020, David Buick, l’ancien aumônier régional de Rennes, en est devenu le président. Cette association qui regroupe environ sept cents aumôniers est œcuménique – environ 55% de protestants, 45% de catholiques et une minorité d’orthodoxes- et exerce une certaine hospitalité à l’égard d’aumôniers d’autres religions. Dans le monde, elle est constituée en six régions qui sont le cœur de la vie de l’association. Les régions les plus dynamiques sont l’Europe et l’Afrique. Née en 1985 et actuellement en totale réorganisation, elle entend reprendre le rythme de congrès mondiaux en 2025, avec la célébration de ses quarante années d’existence.
A part le point commun d’être en lien avec les personnes détenues, comment la diversité des situations – notamment des arrière-plans religieux – permet-elle une approche commune : sur quels sujets les membres se retrouvent-ils ?
D.B. Ou on vit la diversité comme un obstacle ou comme une opportunité ! L’approche d’IPCA est de chercher à confronter les pratiques, les rites, les usages pour s’enrichir mutuellement. Les pratiques différentes renvoient à notre propre pratique, ouvre l’esprit vers d’autres aspects. Nos points communs sont l’interface détenus / administration pénitentiaire, homme / Dieu et les autres cultes. L’ONU est très sensible à la double approche d’IPCA : la présence des aumôniers sur le terrain et la réflexion générée par cette présence.
Quel rôle joue l’aumônier : accompagnateur spirituel ou acteur social ?
D.B. Plus le pays est pauvre, plus l’apport social de l’aumônier est important. L’accompagnement spirituel est une valeur ajoutée. L’article 65 des Règles Nelson Mandela
– règles minimales reconnues par l’ONU pour le traitement des détenus – dispose que « chaque détenu doit être autorisé, dans la mesure du possible, à satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, en participant aux services organisés dans la prison et en ayant en sa possession des livres de culte et d’instruction religieuse de sa confession. » Les personnes détenues, plus que toutes autres, ont besoin de transcendance. André Malraux l’avait déjà souligné à l’époque pour la société en général : « Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux. »[i] Il est important de ne pas lâcher sur le volet spirituel.
Est-ce répandu que l’aumônier rencontre les détenus dans leurs cellules, comme en France, en dehors du temps de la crise sanitaire ?
D.B. La France est très marginale sur ce point. Au Royaume-Uni par exemple, les aumôniers rencontrent les détenus dans des salles d’entretien et c’est la situation la plus fréquente.
Quelles relations les aumôniers entretiennent-ils avec l’Etat ? Quel est leur statut officiel : fonctionnaires, bénévoles ou autres ? Ministres du culte ou laïcs ?
D.B. On trouve toutes formes de situations. L’Europe est une exception avec l’emploi de fonctionnaires. Actuellement, le Costa-Rica est en train de monter une structure d’aumônerie. En Suède, le responsable des aumôniers protestants signe les contrats de tous les aumôniers, y compris ceux relevant d’autres cultes, par le biais d’une association tierce. Au Canada, les services d’aumônerie des établissements situés dans les provinces sont des prestations soumises à des appels d’offres. En Ukraine, depuis la chute du communisme, le fait religieux occupe une place reconnue, comme dans beaucoup d’anciens « pays de l’est ». Dans ces pays, la criminalité est perçue comme un défaut d’éducation qui nécessite une rééducation, ainsi en Chine par exemple. Elle est appréhendée de façon collective.
Dans le monde, les aumôniers professionnels sont en général des ministres du culte, entourés de laïcs bénévoles. Le défi est de faire cohabiter les professionnels et les bénévoles, ces derniers pensant souvent que les professionnels ne sont pas suffisamment engagés. Mon sentiment est que l’avenir appartient aux bénévoles qui ne sont pas dépendants de financements publics.
La liberté religieuse est-elle menacée en prison ?
D.B. Pas plus qu’en dehors des murs car elle est de façon générale protégée par la loi. Le fait religieux est ressenti de façon plus intense en prison car on voit l’intérêt social de des cultes.
Quelle vigilance IPCA assure-t-elle dans le monde ?
D.B. IPCA est une association accréditée par l’ONU. A ce titre, elle peut faire des déclarations qui sont publiées par l’organisme international, ce qui leur confère une légitimité plus importante. Elle a pu également participer au Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et de la justice pénale à Kyoto, au Japon, qui s’est tenu en mars 2021 et faire valoir le fait religieux. IPCA est présente auprès des instances de justice pénale sur les grandes questions éthiques : comme la mort en prison ; veiller au respect de l’application des Règles Nelson Mandela ; apporter une réflexion sur les alternatives à l’emprisonnement et le sens de la peine ; contribuer au développement de la justice restaurative; développer les conditions de l’accompagnement spirituel. Il serait bon de favoriser des recherches académiques sur ces différents sujets, ce qui générerait des financements.
Quel soutien attends-tu de JAP ?
D.B. Je souhaiterais que JAP soit un relais pour repérer les compétences, des personnes ayant une fibre internationale, des liens avec des ONG, des réflexions sur les questions de justice. Le rythme de cette association est très lent. Pour continuer à être une ONG accréditée auprès de l’ONU, des ambassades doivent la soutenir, comme l’ambassade danoise actuellement.
[i] A. Malraux, « L’homme et le fantôme », l’Express 21 mai 1955. Lire aussi : https://www.traces-ecrites.com/document/la-prophetie-de-malraux-le-xxie-siecle-sera-mystique-ou-ne-sera-pas/