Dans un entretien au journal Le Monde, deux chercheurs décryptent le “désengagement” politique de la jeunesse française. Olivier Galland, sociologue et directeur émérite au CNRS, ainsi que Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie à Sciences Po, sont les auteurs d’une enquête d’ampleur pour l’Institut Montaigne, intitulée “Une jeunesse plurielle”, menée auprès de 8000 jeunes âgés de 18 à 24 ans.
Pour Olivier Galland, “il y a bien une jeunesse en tant que classe d’âge, plutôt heureuse, plutôt sensible aux problématiques sociétales, et des jeunesses faites d’individus se rejoignant sur certaines préoccupations, certaines attitudes”. Même si des lignes de clivages apparaissent selon le capital culturel, mesuré dans l’enquête à travers le nombre de livres possédés dans le foyer parental. Le facteur du sexe joue également un rôle déterminant : “filles et garçons se positionnent très différemment sur bon nombre de questions”, note le sociologue.
L’attachement au système en recul
Il existe “une jeunesse féminine, constituée de jeunes femmes à l’avant-garde sur beaucoup de questions politiques, très sensibles aux violences sexuelles, mais qui ne se reconnaissent pas pour autant dans la vie politique et associative du pays”, ajoute Marc Lazar. “Elles ont un ethos assez protestataire tout en rejetant, davantage que les garçons de leur âge, la violence politique et sociale. Ces jeunes filles représentent un potentiel démocratique réel et, pourtant, on ne les retrouve pas dans les associations et les organisations constituées. Peut-être parce que ces formes politiques sont trop masculines ?” s’interroge le chercheur affilié à Sciences Po.
La jeunesse sur laquelle les deux universitaires ont enquêté se sent concernée par les questions de société, disent-ils. Les inégalités, le terrorisme, les violences faites aux femmes, l’écologie arrivent en tête des thèmes dont cette jeunesse se préoccupe. Concernant la laïcité, les jeunes en ont une conception plus souple que leurs parents ou leurs grands-parents, expliquent Olivier Galland et Marc Lazar. Mais, selon eux, le clivage majeur d’une génération à l’autre et de nature politique. “L’affiliation politique et l’attachement exprimé à l’égard du système démocratique sont nettement en recul d’une génération à l’autre. L’enquête identifie une frange importante de la jeunesse (26 %) qui se positionne à l’écart du débat démocratique. Ces jeunes-là, des ‘désengagés’, sont souvent invisibles. Ils ne disposent pas de porte-voix et ne cherchent d’ailleurs pas à en avoir”, indique Marc Lazar.
Malaise démocratique
L’étude retrouve aussi des clivages en termes de violence politique. “Aujourd’hui, pratiquement un jeune sur deux estime compréhensible de pouvoir affronter des élus. Et pas loin d’un jeune sur cinq trouve acceptable de dégrader un espace ou un établissement public. Cela reste une minorité, sans doute, mais c’est très supérieur aux mesures faites auprès des générations antérieures”, constate Olivier Galland.
Globalement, “cette génération est traversée par un malaise démocratique profond sur lequel les responsables politiques ont tout intérêt à ouvrir les yeux. Cela aura indubitablement des conséquences dans les urnes en termes d’abstention. Un quart des sondés – ceux que nous avons appelés les ‘désengagés’ – sont indifférents à la politique, mais une frange importante, presque 40 %, est en attente de démocratie participative”, fait savoir Marc Lazar. Ces derniers constituent ainsi un potentiel de voix pour les candidats, dit-il. “Reste à savoir comment les impliquer.”