Shadi Matar a vécu à Daraya jusqu’en 2017. La ville, située à quelques encablures de Damas, compte 200 000 habitants avant la révolution. Shadi est le septième d’une fratrie de neuf. Dans la famille, on fabrique des machines agricoles.
Le jeune homme termine ses études et s’apprête à rejoindre l’entreprise familiale lorsque la révolution éclate en 2011. La famille participe aux manifestations pacifistes à Daraya mais ce n’est pas du goût de Bachar al-Assad. « Dès qu’il a fait appel à l’armée pour arrêter les manifestants, on a compris que les militaires ne seraient pas là pour protéger les Syriens mais le régime. » Fin août 2012, les soldats massacrent 700 personnes dans la ville.
Quand Bachar al-Assad la fait bombarder, la plupart des habitants fuient. Des hélicoptères lâchent des barils d’explosifs sur les habitations, Shadi filme avec son téléphone portable. Sa famille se réfugie à Damas où elle vit quelques mois dans la plus grande insécurité – les arrestations se multiplient – avant de s’installer au Liban puis en Turquie. Shadi refuse de quitter Daraya : « Je voulais participer, voir le changement, je pensais que ce serait l’affaire de quelques semaines, que le régime allait tomber. »
Dix mille habitants restent à Daraya. Un bon millier résiste, dont Shadi et ses amis, Jihad, Ahmad… La première année, les vivres récupérés dans les maisons et les supermarchés éventrés permettent de survivre. Il faut ensuite gagner en secret la ville voisine, au péril de sa vie, pour trouver des denrées. Shadi se procure une caméra.
En 2014, le régime semble renoncer à prendre la ville, « pendant quelques mois, on a été tranquille ». Shadi et ses amis exhument des décombres des milliers de livres, trient, rangent, numérotent et installent une bibliothèque clandestine. On y débat, on parle paix, liberté et démocratie. « À la fin du siège, les soldats d’Al-Assad ont tout détruit ! »
En août, les bombardements reprennent, plus violents. Fin 2016, les résistants de Daraya sont contraints de quitter la ville, la mort dans l’âme. Shadi est transféré dans un hôpital de Turquie. À Daraya, il a été gravement blessé à la main par un éclat d’obus. « Ma main ne bougeait plus. » Un autre éclat s’est fiché dans la caméra qu’il portait autour du cou. « Elle m’a sauvé la vie. » Shadi a frôlé la mort maintes fois mais n’estime pas être un héros : « Je voulais simplement rester pour filmer, faire quelque chose. » En sortant de l’hôpital, il rejoint sa famille à Istanbul.
Shadi passe un an et demi auprès des siens mais veut quitter la Turquie, « on ne pouvait pas se déplacer, je voulais recommencer ma vie ». Une amie lui parle de l’IRAP (l’International Refugiee Assistance Project propose un modèle innovant de mobilisation de ressources juridiques pour défendre les intérêts des réfugiés et des personnes déplacées, et garantir un passage sûr vers les pays de destination). L’association lui demande s’il veut partir en France. Shadi hésite. Il ne parle pas la langue, ne connaît personne. Il a peur. « J’ai pensé que j’allais dormir dans la rue, on disait qu’il y avait beaucoup de racisme en France, mais je n’avais aucun avenir en Turquie. »
La FEP trouve une famille d’accueil à Bordeaux, et Shadi arrive en France en juillet 2019. Très vite, il obtient l’asile. Shadi reste presque deux ans chez Jean-Pierre et Annie. « Ils sont devenus comme mes parents. Ils me présentent comme leur fils syrien. » Shadi apprend le français. En 2021, il intègre une école de journalisme à Paris. « C’était dur, mais on m’a aidé. »
Depuis plusieurs mois, Shadi est caméraman free lance pour une maison de production à Paris qui fait des reportages dans le monde arabe. Il aimerait décrocher un CDI. Il rêve de filmer les migrants installés en France. « Il y a des gens qui pensent que les réfugiés viennent en France pour l’argent, je veux montrer qu’ils sont obligés de quitter leur pays parce qu’ils sont en danger. » Si le régime changeait, Shadi pourrait retourner en Syrie. « Un jour, Bachar al-Assad sera jugé, mais quand ? » En attendant, il a demandé la nationalité française.