Pour Jacques Ellul, « l’Espérance c’est la passion de l’impossible. Elle n’a de sens, de lieu, de raison d’être que là ou rien n’est effectivement plus possible et qu’elle fait appel non pas à la dernière ressource de l’homme, ou à quelques second souffle, mais à la décision extrinsèque qui peut tout transformer. Elle existe quand elle affronte ce qui est effectivement le mur sans issue, l’absurde dernier, la misère irrémédiable » (« L’espérance oubliée », 1972, p. 192). En sommes nous-là ? D’une certaine manière oui.

Le mur sans issue Jésus l’a connu. Il est crucifié car se sont alliés contre lui le pouvoir militaire romain, le pouvoir religieux et le peuple, en tout cas celui qui s’est déplacé devant le palais de Ponce-Pilate et a préféré faire libérer un brigand plutôt que lui.

Aujourd’hui, cette même alliance ferme l’avenir. Les pouvoirs de l’argent et des médias ont choisi un candidat, Emmanuel Macron qui promet de tout changer pour que rien ne change, de tout bouleverser pour continuer la même politique en faveur des puissants, politique qui a épuisé la planète et mis dans la difficulté et la précarité la grande masse des milieux populaires. Le peuple des retraités moins pauvres que les autres, des petits commerçants, des ouvriers dégoûtés de tout, ce populo triste qui se déplace encore pour voter, a choisi Marine Le Pen. Il rêve de couper les ponts avec le monde et rejeter les Arabes et les Noirs du corps de la nation pour restaurer la puissance de l’ancien empire français, comme au retour d’exil le roi Esdras qui obligea les couples mixte à se démarier, espérant retrouver la pureté ethnique de l’ancienne gloire de David.

Il y aurait davantage d’espoir à gauche ? Mais oui, mais justement, de l’espoir, pas de l’espérance. « L’espoir s’est cantonné dans une inconstante affirmation  » ça peut bien tourner  » et le peuple le réduit au dicton  » tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir « . Autrement dit, l’on a encore un peu de temps devant soi, la chance peut revenir. » (« L’espérance oubliée », p. 188-189). Il y a encore de l’espoir, le candidat socialiste présente à nouveau un programme de gauche ! Il y a encore de l’espoir, Mélenchon fait de beaux meetings et un candidat de la gauche de la gauche n’a jamais été aussi haut dans les sondages ! Il y a encore de l’espoir, le programme des écolos inspire largement ces deux derniers ! Il y a encore de l’espoir, Poutou a eu ses signatures !

Je suis pessimiste ? Ellul dans le même livre répond à ceux qui l’accuse de cela. Depuis tant d’année, il essaie « de fermer les fausses issues du faux espoir de l’homme » car « l’homme ne fait rien tant qu’il croit qu’il peut y avoir une issue qui lui sera donnée » plutôt que de risquer la vie « brutalement tout de suite dans un acte de révolte » (« L’espé- rance oubliée » p. 189). L’espérance n’est donc pas sur les plateaux télés et dans les meeting des candidats, elle est devant les lycées de banlieue ou des jeunes affrontent la police en mémoire de Théo au risque d’être brutalisés, sur la ZAD de NotreDame-Des-Landes où l’on invente des modes de vie qui ne rentrent dans aucune case, dans nos Fraternités où l’on vit et manifeste un Évangile qui dit que la mort sociale n’aura pas le dernier mot, avec ces syndicalistes qui appellent à des rassemblements de premier tour social à la veille de celui des présidentielles et ces réseaux ultra-minoritaires qui appellent à occuper les places partout en France le jour du premier tour.

Aucun espoir que ça renverse tout. Mais l’Espérance : celle qui fait « apparaître un facteur radicalement différent dans la situation » dit Ellul, ouvre une brèche, réveille Dieu et permet que s’engouffre sa force extrinsèque. Risquer tout pour qu’IL bouscule tout.