C’est in extremis que la magnifique vallée de la Dordogne, classée au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco a pu être sauvegardée. Une large balafre, avec plusieurs ponts, devait tailler dans le vif. Le Conseil départemental maintenait un projet vieux de quarante ans l’alibi invoqué étant la vitesse et la sécurité. En fait, l’élargissement de la route au pied de la falaise, la mise en circulation de l’A89 avaient déjà réglé le problème.

La première leçon est là : comment une poignée d’associations a-telle réussi à mobiliser toute une partie du Périgord, avec de très bons relais dans les médias ? Cela représente trois années de contestation multiforme : recours, occupation de terrain avec une ZAD ! Le plus remarquable est la ténacité d’une petite équipe de septuagénaires qui plus d’une fois ont passé la nuit sur des cartons ondulés devant un bâtiment public pour être reçus ou simplement écoutés. Il y a eu toute une alchimie sociale entre protecteurs de la nature et passionnés du patrimoine. Des « zadistes » sont arrivés des quatre coins du pays, aidés, nourris par les locaux. Pour le meilleur, pour le pire parfois, mais la dynamique s’est maintenue, toutes générations confondues. En réalité, comme on peut le constater dans tous ces combats environnementaux on rencontre des hommes, des femmes de tous âges en rupture ouverte avec les mythes et le sacré des schémas productivistes. Il est évident que le passage à la situation de retraité libère bien des esprits qui jusque là se sentaient impliqués – chacun à son poste – dans l’avancée d’une société du toujours plus.

Trancher sur le fond

Deuxième leçon : la justice administrative commence à prendre en compte des questions de fond concernant aussi bien le Zonage Natura 2000, avec ici 129 espèces protégées, que les bilans socio économiques des projets. Ainsi la justice dépasse les simples problèmes formels pour trancher sur le fond. Il faut savoir que longtemps bien des recours étaient écartés sans véritable débat sur le fond. C’est ce qui s’est passé ici dans un premier temps à Bordeaux puis à Paris. Jusqu’au moment où le Conseil d’Etat a statué par un référé puissamment argumenté sur un rapport du Conseil Supérieur de l environnement (18-XII-2018). En bref, dans un arrêt « explosif », la plus haute juridiction avait démontré et tranché : « cette rocade ne présente pas d’intérêt public majeur ». Une simplicité qualifiée par les spécialistes de « biblique ». Chose confirmée par la Cour administrative d’Appel de Bordeaux le 10 décembre dernier. Avec injonction de démolir plusieurs piles de ponts.

Au final une affaire qui s’inscrit dans la remise en question des élus, imbus de leur « légitimité », grisés par l’idéologie d’un prétendu « progrès », confortés par la bienveillance préfectorale et l’inertie longtemps délibérée de la justice administrative. Se sentant tout permis, Germinal Peiro, président du Conseil départemental, traite les opposants de criminels. En dépit des usages, il a commencé les travaux malgré le contentieux. Ainsi 27 millions d’euros sont déjà dépensés au profit de Bouygues pour des piles de pont. Et les magistrats ont fait injonction de démolir et rétablir le site Naura 2 000. Encore 15 millions. Une gabegie. Dans la Grèce antique, l’usage voulait que le magistrat paie de ses propres deniers pour les erreurs commises. Cela s’appelait le procès en reddition de charge. De quoi ruiner bien des élus.