Soixante-et-onze députés entament l’examen du projet de loi sur la fin de vie, lundi 13 mai. Le texte prévoit d’ouvrir, pour la première fois en France, une “aide à mourir” pour certains patients, une réforme à la fois attendue et source d’inquiétudes. La commission spéciale de l’Assemblée dispose d’une semaine pour passer en revue les 1 900 amendements déposés par des élus de tous bords, avant son arrivée dans l’hémicycle le 27 mai. Dans ce contexte, France Télévisions est allé à la rencontre de malades désireux de faire entendre leur voix.

À 58 ans, un cadre commercial souffre d’un cancer colorectal, qui s’est étendu au foie. Depuis 2019, il a subi 89 séances de chimiothérapie et essayé “tous les protocoles existants”. Actuellement, il est inscrit sur liste d’attente pour bénéficier d’une nouvelle molécule. Il s’agit peut-être de sa dernière chance de guérir. “Je peux l’avoir demain comme dans six mois ou jamais”, explique le père de famille normand. Son cas est loin d’être isolé. Concerné au premier plan par les débats en cours, il demande : “Donnez-moi la possibilité de choisir le moment où je vais tirer ma révérence, de “mourir dignement, sans subir ni souffrances ni humiliations”.

“Je veux pouvoir partir dignement”

Comme beaucoup d’autres malades, il voit la réforme comme un espoir. Un avis partagé par la majorité des témoins avec lesquels franceinfo a discuté. “Je suis prête à souffrir pour guérir. Mais s’il n’y a plus d’espoir, à quoi bon souffrir pour mourir ?”, lance une malade d’un cancer du sein triple négatif. Âgée de 62 ans, elle confie avoir “peur de mourir en hurlant de douleur” et garde en mémoire la mort “monstrueuse” de son beau-père, emporté par un cancer. Craignant que les soins palliatifs ne suffisent pas, elle explique : “Je serais très apaisée, pour moi et mes enfants, si j’avais la garantie de pouvoir partir si cela devient insupportable.” Si depuis 2016, la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès répond aux souffrances les plus intenses, la pratique n’est autorisée que lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, soit dans les tout derniers jours de la vie.

De cinq ans sa cadette, une patiente atteinte depuis des années d’une polyarthrite rhumatoïde ne veut pas entendre parler des soins palliatifs. Pour le moment, la Bordelaise vit avec ses douleurs articulaires qui la rendent parfois dépendante de son entourage. “Mais je veux pouvoir partir dignement si je n’en peux plus”, explique-t-elle, “tétanisée par la dépendance” qui l’attend. Alors, elle est attentive au critère de “pronostic vital engagé à court ou moyen terme” qui sera requis pour pouvoir prétendre à une aide à mourir. “Pourquoi attendre d’être arrivé au bout du bout ? Ma maladie est incurable et je n’ai pas envie de vivre dix ans dans un fauteuil avec des gens obligés de m’essuyer les fesses. Je l’ai vécu avec des proches, c’est dégradant et c’est un enfer pour tout le monde”, décrit-elle.

Elle a rédigé ses dernières volontés

Bientôt septuagénaire, un Héraultais atteint de polykystose hépatorénale souffrira dans les prochaines années d’une insuffisance rénale sévère. “Quand je serai accroché à une machine à dialyse quatre jours par semaine, est-ce qu’on considérera que mon pronostic vital est engagé à court ou moyen terme ? La volonté réitérée de la personne me paraît plus importante que tout. J’aimerais qu’on tienne davantage compte de la parole du malade, qui doit avoir le dernier mot”, souligne-t-il.

Il ne cache pas non plus sa crainte de voir le projet de loi peu à peu dénaturé au fil de la discussion parlementaire. Si le projet de loi devait devenir “inapplicable”, se transformer en “une usine à gaz”, sa décision est prise : il partira “peut-être en Suisse ou en Belgique”. “J’ai déjà pris mes dispositions, avec 15 000 euros d’économies que j’ai affectées à ça.”

La crainte d’une “incitation au suicide”

Une habitante de l’Essonne s’inquiète de ce qu’il adviendra des “malades qui ne seront plus en état de formuler une demande d’aide à mourir”. Elle sait que le projet de loi tel qu’il est rédigé aujourd’hui exclut toute personne incapable de “manifester sa volonté de façon libre et éclairée”. Atteinte depuis 2009 par un cancer des os, elle évoque les métastases qui ont gagné son crâne. “Mon cerveau pourrait être touché, ce qui me priverait de la capacité de dire ce que je veux pour ma fin de vie et me laisserait à la merci des décisions du corps médical”, craint-elle. Alors, elle a rédigé ses dernières volontés dans ses directives anticipées. “Dans ce débat, on entend beaucoup les médecins, mais qui vient demander aux gens en fin de vie de quoi ils ont envie ?” interroge une malade dont le cancer du sein s’est propagé au reste de son corps en janvier.

D’autres malades ne cachent pas, quant à eux, leurs inquiétudes à propos de la légalisation de l’aide à mourir en France. Une autre patiente atteinte de polyarthrite rhumatoïde craint que le projet aboutisse à une forme d’“incitation au suicide, plus ou moins subtile”, exercée sur des personnes vulnérables. Celle que sa maladie a rendue “toute tordue”, explique à franceinfo souffrir du regard des autres. “Un jour, je serai complètement dépendante. J’ai peur que des personnes qui s’occupent de moi me fassent comprendre que je suis devenue un poids et me demandent pourquoi je n’ai pas recours à l’aide à mourir”, explique la quadragénaire. Elle préfèrerait un assouplissement du cadre actuel, “au cas par cas”, qui permettrait de répondre à certaines souffrances en fin de vie, sans recourir à une loi “fratricide” aux conséquences “délétères”.

“Si peu de valeur”

Une sexagénaire estime que “quand vous luttez contre une maladie, c’est comme pour un cycliste du Tour de France en pleine ascension : vous avez besoin d’être encouragé, pas d’être incité à vous arrêter”. Aussi, cette dernière se demande “comment [elle va se] sentir en sachant que [s]a vie a si peu de valeur aux yeux de la société”, lorsqu’elle sera arrivée au stade où elle sera “éligible à l’aide à mourir”.