Alors que la plupart des hommes sont devenus sédentaires, d’autres populations sont demeurées nomades; d’autres personnes ont dû quitter leur résidence en raison de guerres, de persécutions, de famines; d’autres encore, individus ou populations entières devront quitter leurs habitats menacés par les bouleversements écologiques annoncés.
En dépit des droits de libre circulation et de libre installation reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les États ont le plus souvent une politique restrictive à l’égard des migrants, alors qu’ils admettent, quasiment sans contrôle, la venue des touristes, des marchandises et des capitaux. Quelle est la réalité de la circulation humaine sur notre planète ? Quel est son impact social et économique ? Que nous dit la Bible au regard de ces problèmes ? C’est à cette réflexion que nous introduit la conférence du pasteur Olivier Brès, ancien secrétaire général de la Fédération de l’Entraide Protestante et ancien président de la Cimade à Bordeaux.
Comment traiter le sujet ?
Cette question est devenue plus prégnante encore, ou du moins plus visible, plus médiatisée ces dernières semaines alors que je préparais cette intervention. Récemment – mais les choses vont vite – la thématique a été au cœur de l’actualité: Biélorussie, Pologne, Éthiopie (un pays marqué par des mouvements de population énormes), et puis ce matin-même de nouveaux décès dans la Manche, frontière entre la France et la Grande-Bretagne. En tant que pasteur et théologien, je précise n’être pas spécialiste de ces problématiques et ne pas posséder les compétences juridiques pour traiter cet aspect du sujet; ma lecture théologique est donc incertaine. De plus, je suis envahi d’une perplexité grandissante devant la situation: l’obligation morale d’une aide aux individus et les questions posées par les politiques étatiques. Perplexité aussi face au rapport entre les principes des droits humains ou évangéliques et les pratiques des États dits démocratiques. Perplexité enfin devant le durcissement idéologique fondé sur les émotions, notamment la peur, et face à cette difficulté à faire aujourd’hui appel à la raison. Et puis, sans doute faudrait-il approcher cette question avec une profondeur historique mais, là non plus, je n’ai pas les connaissances nécessaires.
Quand on parle de circulation sur la planète, je me souviens des grands voyages de Marco Polo lus dans Le Devisement du monde, ou même de ceux des frères Platter dont Emmanuel Le Roy Ladurie se fait l’écho, Suisses protestants en pleine époque de tensions religieuses mais qui purent circuler dans toute l’Europe. Je me souviens aussi des octrois qui existaient partout pour les marchandises, des protestants interdits de circuler dans le royaume de France en 1685, du livret que devaient encore présenter les ouvriers jusqu’au Second Empire pour se déplacer en France et du livret des gens du voyage qui a existé jusqu’en 2017.
Alors, comment traiter le sujet ? En pensant sans doute d’abord en priorité à la question des migrants mais en la situant peut-être plus largement dans son rapport avec d’autres types de circulation humaine, matérielle voire dématérialisée. Je commencerai par rappeler les principes et les droits qui aujourd’hui sont supposés régir cette question ainsi que leur mise en œuvre effective. Dans un deuxième point, j’aborderai les récits et les règles bibliques qui peuvent de nos jours questionner et influer sur notre positionnement ou notre non-positionnement. Enfin, je reviendrai sur un certain nombre de réalités de la circulation des humains sur notre planète.
Les droits humains et leur mise en pratique
Je pourrais parler d’une vision et des droits. Une vision, d’abord, ou en tout cas une approche. Aujourd’hui, il me semble que l’approche partagée serait que nous sommes sur une seule planète dont la respiration – tout comme les virus, d’ailleurs – se joue des frontières et dont nous sommes collectivement responsables. Je ne dis pas collectivement propriétaires mais collectivement responsables ou plutôt habitants, participants provisoires, bénéficiaires temporaires de cette planète, avec d’autres, et, peut-être faut-il insister là-dessus, sans mérite particulier d’être né sur telle ou telle partie de cette planète. Nous avons donc des droits égaux à y vivre, à en tirer des moyens de vivre, à hériter […]