Par Christophe Cousinié, pasteur de l’Ensemble des vallées cévenoles
Que se passe-t-il pour que les idées les plus nauséabondes qui pouvaient, il y a encore quelque temps, laisser rire si elles ne faisaient pas pleurer, deviennent aujourd’hui un discours audible et entendu, et qu’elles soient, éventuellement, portées à la victoire le soir du second tour ?
Ces opinions populaires se forment lorsque l’homme est ignorant, crédule, superstitieux ; lorsqu’il est disposé à recevoir toutes opinions, toutes erreurs que son imagination, ses craintes, les premières apparences des choses, ses propres passions ou celles des autres, les intérêts et la ruse des hommes plus adroits que lui, pourront imprimer dans son âme… et trouvent toujours des gens qui savent les tourner à leur profit, les développer, les embellir, les rependre, en faire le noyau d’autres erreurs qu’ils inventent et qui viennent s’y rattacher »1.
Lorsque le pasteur Samuel Vincent écrit ces mots en 1820, il était loin de penser que deux siècles plus tard ils seraient toujours d’actualité.
Une défaite idéologique
Il y a déjà longtemps que le spectre d’une victoire brune (ou bleu Marine) rôde telle une épée de Damoclès sur notre République. Et le spectre est en train de prendre corps. Si ces discours extrémistes, jusque-là minoritaires, en sont arrivés là où ils en sont, c’est sans doute en raison d’une défaite idéologique.
Le philosophe Emerson écrivait dans un texte consacré à Napoléon : « si l’on rencontre un homme emportant après soi le pouvoir et la sympathie d’un grand nombre, si Napoléon est la France, si Napoléon est l’Europe, c’est parce que les peuples qu’il domine sont formés de petits Napoléons »2. Par analogie nous pourrions dire la même chose de la situation actuelle. Et si la défaite était là ? Peut-être et sans doute qu’au fil des années, des politiques successives, des abandons de service public, nous en sommes arrivés, non pas à former, mais à déformer l’esprit critique pour en faire un esprit crédule et ignorant.
Populiste et populaire
Les discours populistes sont aujourd’hui populaires justement parce qu’ils parlent à un peuple formé à ne voir que son propre intérêt, à qui on a appris que pour réussir il fallait que l’autre soit écrasé, parce qu’on lui a dit de se méfier des idées des autres et qu’il avait alors le droit de dire n’importe quelles inepties comme si c’était l’unique vérité.
Notre République vacille et est menacée, non pas parce que quelques journalistes extrémistes s’essaient à la politique aux côtés d’autres extrémistes, mais parce que nous vivons un déficit de République.
Peut-être pouvons-nous nous rassurer sur le fait que ce mouvement n’est pas nouveau et donc qu’un jour il sera ancien. Sans doute que nous avons, en tant que protestants, nous aussi à entrer dans la lutte et ne pas offrir de défaite théologique à côté de celle idéologique. Rappeler sans cesse les valeurs portées par la République en écho avec notre foi. Affirmer pour ne jamais abandonner la liberté d’examen afin qu’elle vienne raviver la lumière de l’esprit.
En savoir plus
Notes
1 Samuel Vincent, Observations sur la voie d’autorité appliquée à la religion, Paris, Treuttel et Wurtz, 1820.
2 Ralph Waldo Emerson, Napoléon ou l’homme du monde, in Vie et caractère de Napoléon Bonaparte, par W.E. Channing & R. W. Emerson, Bruxelles, Imprimerie de François Van Meenen, 1857, p.143.