Les MNA présentent plusieurs caractéristiques qui conditionnent leur prise en charge. Originaires pour la très grande majorité d’entre eux des pays du Maghreb, ils sont bien souvent en rupture avec leur famille, et cela depuis un très jeune âge : beaucoup sont des enfants des rues, livrés à eux-mêmes dès l’âge de 8 ou 9 ans. Ils arrivent en détention après un long parcours d’errance, qui les a régulièrement menés dans différents pays d’Europe, il n’est pas rare qu’ils parlent mieux l’espagnol, l’allemand, le suédois ou l’italien que le français. Leur état de santé est souvent dégradé, non pas par des maladies chroniques, mais par deux problématiques médicales qui sont liées à leur parcours d’errance : les traumas et les addictions.
Du fait des traumas subis, un certain nombre ont des orthèses orthopédiques. Du fait de leurs parcours d’errance, le suivi est extrêmement inconstant. Bien souvent ils conservent des mois, parfois des années, les vis et broches. Cela peut conduire à des infections chronique, voire des ostéites[1] dans les cas les plus graves. Arrivés en détention, ils sont systématiquement pris en charge sur le plan médical, mais pour ceux dont la durée d’incarcération est courte, il n’est pas toujours possible de programmer les soins nécessaires tels que l’ablation du matériel orthopédique et la rééducation kinésithérapeutique. En règle générale, ces jeunes n’ont pas de demande de soin, même s’ils en comprennent les enjeux, car ils sont habitués de longue date à ne pas se soigner et à s’automédiquer avec des psychotropes obtenus au marché noir. Cette automédication est l’une des causes majeures de leur problématique d’addiction.
Les addictions les plus fréquentes sont d’abord le tabac et le cannabis, puis l’alcool et les médicaments psychotropes tels que sont le rivotril et le lyrica, plus rarement la cocaïne ou le crack et très rarement l’héroïne. Les addictions au lyrica sont liées à l’action très efficace de ce médicament sur les douleurs post-traumatiques, et qu’ils détournent pour un usage toxicomaniaque. Comme la première prescription est fréquemment faite par un médecin à l’issue d’un passage aux urgences, les explications sur la toxicité ne sont pas comprises et ils refusent les traitements de sevrage.
Les conditions de détention reproduisent un certain nombre des discriminations dont les MNA sont l’objet en dehors de la prison. En particulier, ils souffrent fréquemment du rejet des autres mineurs de nationalité française pour deux raisons. D’une part, ils sont la cible d’une forme de racisme du fait de leur origine, ils se font traités de « blédards » , ce qui est à forte connotation péjorative, d’autre part, un certain nombre d’entre eux sont majeurs et cachent leur âge, ce qui provoque régulièrement des rixes entre eux et les « vrais » mineurs, sans autre raison que la différence de statut social et d’âge. En général, les surveillants et les éducateurs sont attentifs à ne pas mélanger ces deux populations dans les groupes de vie et de promenade, ce qui a pour effet pervers de perpétuer une dynamique de marginalisation.
Parler peu
Les MNA restent très discrets sur le vécu de leur détention. Dans la grande majorité des cas, ils refusent le suivi psychothérapeutique proposé par les soignants des unités sanitaires. Ils parlent peu de leur parcours carcéral sauf quand ils ont un besoin de soins particuliers, généralement à la suite d’une rixe en cours de promenade ou d’un accident sur le terrain de sport.
Leur vécu de l’enfermement est largement conditionné par leur statut de MNA. Pour ceux ayant été pris en charge avant leur incarcération par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ils vivent généralement leur incarcération comme une double peine, car ils soulignent que contrairement aux autres jeunes qu’ils rencontrent dans les structures, ils n’ont ni famille ni adresse en France. Ne disposant donc pas de garanties de représentation en audience, les juges seront enclins à les incarcérer beaucoup plus facilement que les autres mineurs.
Au-delà de leur représentation juridique en tant que mineur, l’enjeu est aussi souvent pour eux d’obtenir une régularisation administrative et une insertion sociale et professionnelle durable en France. Dans cette perspective, la possibilité de bénéficier d’un accompagnement en tant que jeunes majeurs, principalement assurés par les services de l’ASE, est cruciale. Or, la difficulté est celle de l’articulation des politiques publiques liées à la protection de l’enfance d’une part, et à la gestion des flux migratoires d’autre part. La jurisprudence du Conseil d’Etat est plutôt favorable aux jeunes. Des arrêts récents estime que « la circonstance qu’un jeune étranger de moins de 21 ans soit en situation irrégulière au regard du séjour ne fait pas obstacle à sa prise en charge à titre temporaire par le service de l’aide sociale à l’enfance »[2]. Le Conseil d’Etat a également rappelé que l’accueil d’un mineur non accompagné doit être garanti par le département quand bien même la personne mise à l’abri pourrait avoir des comportements violents ou ne respecteraient pas les règles de son lieu d’hébergement »[3].
Néanmoins, en l’absence de recours, les vides juridiques existants laissent une marge de manœuvre importante aux départements, et pose également la question de la place et du rôle que les services de la PJJ pourraient jouer en faveur de ces enfants dont ils connaissent la situation et qu’ils pourraient continuer à suivre durant le début de leur majorité.
[1] Inflammation du tissu osseux.
[2] CE, 15 mars 2019, n° 422488.
[3] CE, 27 déc. 2017, n° 415436.