Par Jean-Pierre Molina, bibliste, ancien pasteur de la Mission populaire, membre du comité de rédaction de Présence

L’arrivée de la « loi confortant le respect des principes de la République » (1) et la signature au 17 janvier 2021 de la « charte des principes pour l’islam de France » par cinq fédérations islamiques françaises sur neuf mettent en évidence un motif carrément théologique : la concurrence entre loi de la République et loi religieuse. Il paraît que pour être un bon Français musulman on doit reconnaître la supériorité de la loi incarnée par l’État sur celle de Dieu. Largement répercutée par les médias, cette injonction ne se trouve pas inscrite telle quelle dans le texte de la nouvelle loi, mais la formulation du préambule de la charte et les échos des rencontres entre les représentants des cultes et ceux de l’État lui donnent valeur d’interprétation officielle et de la loi et de la charte. Elle est particulièrement ressentie ainsi dans les quatre associations musulmanes non-signataires de la charte : « La mise en confrontation des principes de la République et des convictions religieuses musulmanes (2) » est à leurs yeux injuste et brutale. Aux yeux des protestants, elle devrait tout autant poser problème : si le ministre de l’Intérieur n’exerce pas la même pression sur les chrétiens, les juifs ou les bouddhistes, ce n’est probablement pas pour les exempter de cette subordination de la religion à l’État mais parce qu’elle est supposée admise de longue date. Or rien n’est moins évident !

Bin… non.

D’abord la question « reconnaissez-vous que la loi de la République l’emporte sur la loi de Dieu ? » est dépourvue de sens parce-que nous n’abaissons pas Dieu au rang d’instance législative en concurrence avec un parlement ou un gouvernement. Ensuite, s’il faut tout de même essayer de jouer le jeu de ceux qui la posent, la réponse sera évidemment non : si la loi de Dieu affirme « Tu ne tueras point » et que l’État (et non la République ) m’envoie faire la guerre, je ne sais pas ce que je ferais mais je sais qu’en mon âme et conscience le commandement de ne pas tuer sera supérieur aux ordres de tirer sur ces salauds d’étrangers. Si l’État organise la ségrégation raciale, je me souviendrai avec Martin Luther King et les premiers chrétiens de Jérusalem (Actes 5, 29) qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes quand il y a conflit d’obéissance.

Feu rouge

Et surtout parce que la loi de Dieu et la loi civile ont vocation à se confondre. « Tu ne tueras pas » et « Tu t’arrêteras au feu rouge » forment deux phrases distinctes mais un même commandement, le respect du feu rouge déclinant dans le particulier ce que l’interdit d’assassiner exprime en absolu.

Lorsque l’apôtre Paul affirme « la Loi est sainte, juste et bonne » (Romains 7, 12), nous pouvons considérer qu’il désigne autant le code de la route que le Décalogue. Reçus par le Sénat pour donner l’avis de la Fédération protestante de France, François Clavairoly et Jean-Daniel Roque ont fort opportunément cité ces mots d’Aristide Briand à propos de la loi de 1905 (3) : « La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi. » Mais durant plusieurs siècles la loi française, qui n’était pas laïque, a interdit la foi protestante et c’est grâce à leur désobéissance que les protestants ont contribué à l’instauration de la République et à l’établissement de la liberté de pensée et de religion dans notre pays.