La transition est la première étape qui mène à des actions, des débats, des films, des révélations. Êtres en transition – le vivant nous questionne, le dernier documentaire du réalisateur François Stuck présente un large panorama de dynamiques et de réflexions incarnées sur ce thème. Nous l’avions interrogé pour la radio dialogue RCF voilà quelques mois, après un certain nombre de projections-débats. Dans ces extraits, il nous parle de la transition qu’il a vécue personnellement et professionnellement et des transitions locales qu’il a souhaité, avec ses partenaires, faire connaître au grand public…

Le titre de votre film, Êtres en transition, parle bien de personnes qui ont décidé d’opérer des changements importants dans leur vie…

« Être en transition », cela veut dire changer les paradigmes et les référentiels de notre société. Dans le film, Hubert Reeves dit qu’on est confronté à l’extraordinaire puissance de l’être humain : on a été capables de réchauffer les océans ! On est donc confrontés à la conséquence de nos actes. Mais comment réussir cette transition vers un monde durable ? Au début, cela passe par la prise de conscience – aujourd’hui il n’y a plus grand monde pour dire que tout va bien. Puis on va devoir revisiter nos référentiels. Qu’est-ce qui fait sens dans notre société ? Qu’est-ce qui fait qu’on crée un collectif, pour des décisions collectives qui vont nous emmener vers ce monde durable?

On pense à des transitions multiples, dans nos vies personnelles et dans la société, du voisinage immédiat aux lois de la République, en passant par le niveau municipal ou régional…

Quand on commence à chercher, on voit que partout en France des gens agissent dans ce sens. Dans le cadre de l’entreprise, d’associations, dans le registre institutionnel, de nombreuses personnes expérimentent ou ont mis en place des solutions valides – gestion des forêts, des rivières, de la pêche en mer, dépollution de terrains… On peut dire aujourd’hui qu’il existe un grand panel d’exemples où on a les savoirs et les savoir-faire pour se mettre en transition et changer de modèle.

Les solutions, on les trouve ou on les retrouve…

Souvent, effectivement, on va revisiter notre histoire. Mais ces personnes sont tournées vers l’avenir. On va faire appel aux savoirs paysans, par exemple, des savoirs ancrés dans la durée et porteurs d’une analyse. Aujourd’hui, plutôt que d’utiliser des solutions toutes faites données par la technologie, les gens vont se tourner vers une démarche d’observation, par exemple. Cela donne des expériences et des points de vue très différents, mais tous se posent la question fondamentale: est-ce que nos actes permettent de maintenir la dignité de tous les êtres vivants ? Hubert Reeves dit que l’Homme a une énorme capacité politique d’un côté et de destruction de l’autre. Alors comment arriver à réguler cela ? Comment réussir collectivement à réguler notre capacité à détruire ?

On parle de transition énergétique, écologique, etc. Ce ne sont pas seulement des recettes pratiques, cela touche aussi le relationnel, l’organisation de la vie collective, le politique, l’éthique, le domaine spirituel…

On touche tous les domaines, puisque tout le monde doit revisiter ses référentiels. Plus précisément, sommes-nous des humains situés en haut de la pyramide de la Création, dans laquelle la nature est au service de l’homme? – une vision qui a été longtemps développée… Ou bien est-ce qu’on est « parmi » ? Dans le film, le philosophe Olivier Abel commente cette conviction de François d’Assise selon laquelle l’homme est une créature parmi les créatures. Donc, quelque chose se met en tension entre une vision multi séculaire de domination, profondément ancrée, et puis cette autre vision qui est d’être « parmi ». Je pense qu’avec ce changement de regard, on fait un grand pas vers la transition.

Vous citez Olivier Abel, de conviction chrétienne, Hubert Reeves, on entend aussi Mireille Delmas- Marty, grande juriste maintenant disparue : ils donnent justement un regard, une perspective sur ces expériences concrètes exposées dans le film…

Je souhaitais ancrer ce film dans la réalité des paysans, des pêcheurs, des associations… Mais derrière, il y a aussi l’idée que tous ces gens qui agissent participent au bien commun, ce bien commun qui n’appartient à personne et fait vivre tout le monde. Ces experts viennent faire le lien et disent la dimension universelle de telles actions.

Vous avez vous-même fait le choix de vous mettre en transition !

Dans la transition, il y a une histoire de renaissance : on naît à une autre vie et aussi à quelque chose qu’on choisit. C’est lié à une recherche de cohérence. Et la cohérence, c’est souvent ce qu’on perd, dans cette vie urbaine à 100 à l’heure pleine d’injonctions contradictoires. On a perdu une cohérence fondamentale qui est notre lien au vivant et à ce qui nous a donné la vie.

J’ai quitté mes activités au sein de la télévision, j’ai quitté Paris, pour vivre de plus en plus dans le Lot ; j’ai changé de modèle économique. Dans cette évolution, il y a eu les documentaires réalisés pour Présence protestante et Le Jour du Seigneur, qui questionnaient notre société, mais aussi la vie associative que j’ai toujours eue, les rencontres faites dans le Lot, un département touché par le « désert » mais très riche en initiatives de terrain.

Parmi ces films, Fukushima, la dignité du vivant posait la question de notre relation au vivant quand on utilise des technologies incompatibles avec la vie sur terre. Dans mon premier documentaire hors télévision, Bienvenue les vers de terre, des agriculteurs racontent comment ils ont quitté une agriculture préfabriquée, où tout était ordonné, prévu, pour partir dans une vraie aventure, la transition vers l’agroécologie, qui intègre les paramètres de la durabilité – environnementale, économique et sociale. Ils ont découvert une liberté et, surtout, ils se sont découverts capables de faire les bons choix : l’observation, l’échange de savoirs… Dans cette intelligence de la relation au vivant, ils font beaucoup moins appel à la mécanisation et aux intrants (pesticides, etc.), et les fermes de ces agriculteurs sont beaucoup plus résilientes en termes économiques.

Vos films sont suivis de dizaines de projections-débats auxquelles vous participez, dans toute la France. Avec le recul, qu’est-ce que cela produit, selon vous ?

On souhaitait, avec ce film, Êtres en transition, créer un espace de rencontre et de débat autour de ces thématiques. Car l’enjeu essentiel, c’est que les gens s’approprient la notion de transition en relation avec d’autres personnes. La projection-débat contribue à augmenter le « bruit de fond », dans notre société, de ces valeurs de la transition et de la durabilité. Et c’est l’augmentation du bruit de fond qui fera que certaines pratiques ne seront plus possibles. Il faut un terreau, un consensus social autour des valeurs portées par la transition. Mais on s’adresse d’abord au premier cercle des convaincus. Eux pourront ensuite inventer comment s’adresser à d’autres. Le premier travail, c’est de mobiliser ce cercle, en n’oubliant pas que dans toutes les sociétés humaines, ce sont des minorités convaincues qui ont fait avancer les choses. Ces personnes investies dans l’action ou qui ont réfléchi à nos modes de vie nous apportent une énergie fantastique !

Site de François Stuck : idetorial.fr

Propos recueillis par Séverine Daudé