La réinsertion des sortants de prison pose-t-elle des problèmes de voisinage ?
Elle dépend beaucoup des parcours de vie. Le plus souvent, ça se passe bien ; on a rencontré la personne, on sait qu’elle est sérieuse et motivée pour s’en sortir. Côté voisinage, c’est mieux depuis que nous mettons F. Matter sur les portes des appartements que nous sous-louons dans le cadre de l’intermédiation locative. Ça pourrait vouloir dire François Matter, n’est-ce pas ? On trouve des astuces parce que les curieux se renseignaient sur les foyers Matter et suspectaient nos locataires dès qu’il se passait quelque chose.
Quand les voisines savent, ils sont méfiants ?
Oui, tout le monde a des préjugés. Même nous. Quand on rencontre la personne, en général, on ne lit pas les jugements parce qu’on n’accueille pas de la même manière quand on sait. Si elle en parle, on essaie de comprendre avec elle quel était l’environnement au moment du passage à l’acte pour éviter de le reproduire. C’est pareil pour les voisins. Leur regard sur l’autre change quand ils savent. Même s’il n’est pas une menace pour eux.
La peur est-elle légitime ?
Les prisons ne sont pas remplies que de pédocriminels mais de personnes au parcours de vie fragile et tragique, souvent des jeunes qui sortent de l’aide sociale à l’enfance et ont vécu des situations d’abandon. Ils peuvent être incarcérés à cause d’une conduite en état d’ivresse ou d’un trafic de stupéfiant en récidive, de violences sur un détenteur de l’autorité publique, un conjoint, un copain… La récidive existe, bien sûr, mais l’atteinte aux personnes est rare. Il faut du temps et une prise en charge globale pour déconstruire tout ça. Le logement est la première étape. On les aide à s’approprier leur appartement et à devenir des locataires idéaux pour que tout se passe au mieux.
La deuxième étape est l’accès à l’emploi ?
En effet, quand c’est envisageable, en partenariat avec France Travail. Certaines anciennes personnes détenues trouvent un emploi, parfois en chantier d’insertion, d’autres font une formation ou du bénévolat : les maraudes sont très prisées, ils ont reçu et ils ont envie de donner. Toutes les activités collectives sont bénéfiques : quand on fait de l’escalade sur un mur de glace dans les Alpes, il n’y a plus d’étiquette « sortant de prison » ou « migrant »… mais des hommes, sportifs, téméraires ou prudents…
Comment retrouver un emploi quand on sort de prison ?
On n’est pas obligé de le dire, mais quand il y a un trou de dix ans sur un CV, c’est un peu compliqué. C’est sûr que la détention est un frein : quand les employeurs savent, ça refroidit, ça n’ouvre pas le champ des possibles. La population carcérale en France aujourd’hui a majoritairement un niveau brevet, voire moins ; et pour travailler dans la logistique ou le BTP, personne ne demande un extrait de casier judiciaire. Des personnes détenues, qui ont travaillé en prison, mentionnent parfois ce qu’elles ont fait sans préciser le lieu.
Que préconisez-vous pour changer de regard sur les anciens détenus ?
Il faut voir l’humain derrière l’acte. Je peux comprendre ce qu’il a fait à cause de son parcours. Je ne le juge pas, je ne suis pas supérieure à lui. Je ne sais pas ce que j’aurais fait à sa place si j’avais eu la même vie, le même environnement, la même éducation. Il a droit à une nouvelle chance.