Au 1er juillet 2025, le nombre de détenus dans les prisons françaises a atteint un nouveau record de 84 951 pour 62 509 places en service. Cela représente un taux d’occupation global de 135,9 % qui dépasse 200 % dans 29 établissements ou quartiers pénitentiaires et 150 % dans 68 autres. La densité carcérale atteint 167 % en maison d’arrêt, où sont incarcérés les détenus en attente de jugement, donc présumés innocents, et ceux condamnés à de courtes peines.
Inévitablement, cette surpopulation s’accompagne de nombreuses atteintes à la dignité et aux droits de personnes incarcérées, comme en témoignent diverses autorités indépendantes telles que le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, le Défenseur des droits, les Aumôneries des prisons, la Croix-Rouge.
Pourtant, une part importante de l’opinion publique cautionne cet état de fait. Elle reproche aux « belles âmes » qui s’indignent de ces conditions dégradantes de « faire dans l’angélisme », et certains vont jusqu’à exiger des conditions encore plus pénibles et dégradantes. L’idée défendue par cette revendication est que plus la peine est longue et pénible, plus elle serait dissuasive et favoriserait la prévention de la délinquance. Cette idée, cruelle, est fausse, comme le montrent deux exemples récents.
L’abolition de la peine de mort en 1981 ne s’est pas accompagnée d’une augmentation des crimes les plus graves, mais de leur lente diminution. L’Observatoire scientifique du crime et de la justice souligne qu’entre 1981 et 2017 le taux d’homicide volontaire en France a diminué de moitié, passant de 1 pour 100 000 habitants par an à moins de 0,5 pour 100 000. Afin de limiter les conséquences de l’épidémie de la Covid-19 en prison, une libération anticipée des détenus en fin de peine a été effectuée. Le 16 mars 2020, la population carcérale était de 72 500 détenus, le 24 mai 2020 elle n’était plus que de 58 926 détenus. Malgré cela, aucune vague de délinquance ou de criminalité n’a été observée par la suite, comme le soulignent l’Observatoire des disparités dans la justice pénale. La libération anticipée de détenus en fin de peine n’a pas eu de conséquences sur la sureté publique, mais a drastiquement diminué la surpopulation.
Depuis des décennies, pour remédier à la polémique sur la surpopulation pénale, la solution de facilité des gouvernements successifs a été de construire plus de places : de 30 000 en 1977, elles sont passées à plus de 63 000 en 2025. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, la surpopulation a fidèlement suivi l’augmentation des places disponibles. Pourtant, construire de nouveaux bâtiments est très cher, le coût moyen de construction d’une prison est d’environ 350 000 euros par place. Il faudrait donc dépenser 7,5 milliards d’euros pour ramener le taux d’occupation à 100 %. Un taux qui, dans les années suivantes, reviendra inévitablement aux 135 % actuels.
Confronté à ce problème, le ministre de la justice a déclaré le 27 février 2025 au micro de RTL : « ce qui est sûr c’est que 60 % des gens qui sortent de prison sont en récidive, ce qui montre que notre système carcéral, non seulement ne protège pas les agents pénitentiaires et les Français, mais en plus ne réussit pas bien à réinsérer les gens. Il faut donc qu’on change tout ».
Ce qui doit faire débat n’est pas le taux de la surpopulation carcérale et son coût moral et économique, mais le taux de réinsertion des sortants de prison et de ses bénéfices pour la société.
Le premier facteur de prévention de la récidive est le projet de sortie et de réinsertion du détenu, géré par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Or, face à la surpopulation pénale, les 3/4 des détenus sortent sans aucun projet, chiffre qui monte à 90 % pour les peines de moins de 6 mois. Une mesure de l’échec de la réinsertion peut se faire en comparant le taux de chômage à l’entrée en prison, qui est de 65 %, avec celui 12 mois après la sortie, qui est de 90 %. Ce chômage massif s’explique en bonne partie par le taux très faible de scolarisation et de formation professionnelle des détenus : 10% d’entre eux ne maitrisent pas ou mal le français, 11% sont en situation d’illettrisme, 50 % sont sans diplôme. Seulement 25 % des détenus bénéficieront d’une scolarité – parfois après plusieurs mois d’attente.
Or, l’incarcération de 85 000 détenus coute près de 4 milliards d’euros par an, soit 105 euros par détenu et par jour, 37 800 euros par an. Plus que le salaire brut médian qui est de 32 000 euros. En d’autre termes, pour le prix de la libération anticipée de quelques détenus en fin de peine, l’on peut payer le salaire d’un CPIP qui travaillera aux projets de réinsertion, d’un enseignant qui luttera contre l’illettrisme, d’un formateur qui proposera une qualification professionnelle.
La persistance tenace de la surpopulation carcérale ne traduit rien d’autre que la capacité des gouvernements successifs à ne pas affronter les effets délétères de la détention, aussi bien sur le plan économique que sur celui du respect de la dignité.
Plutôt que de débattre inutilement sur la surpopulation carcérale, il faut s’intéresser à la sous-réinsertion post-carcérale. Plutôt que réclamer des places de prisons surpeuplées, la société à tout intérêt à exiger des postes supplémentaires de CPIP, d’enseignants, de formateurs. On prête à Victor Hugo le mot suivant : « Ouvrez une école, vous fermerez une prison ! ». Cent cinquante ans plus tard, ce constat est toujours d’actualité.