Un changement qui semble les exonérer de leur « double responsabilité, immédiate dans la gestion des affaires publiques, historique dans la trace qu’ils laisseront dans les institutions ».
« L’histoire, en tout cas, jugera très durement ces manœuvres politiciennes dans lesquelles on aura confondu, au fond, la tribune de l’Assemblée nationale avec une tribune publicitaire » (Sébastien Lecornu, Assemblée nationale, le 16 octobre 2025, 9h 50).
L’Assemblée nationale occupe une place centrale parmi les institutions sur lesquelles repose la démocratie représentative. Tribune des représentants du peuple, elle incarne la rationalité délibérative. Du moins est-elle censée le faire. Dans sa déclaration liminaire, avant la mise au vote des deux motions de censure (LFI, RN), le Premier ministre a dénoncé une dérive très préoccupante: la confusion de deux espaces et de deux registres. Celui de la publicité et celui du débat parlementaire. Celui de la séduction trompeuse et celui de l’argumentation. Il l’a fait avec gravité et ne fait qu’exprimer une profonde inquiétude qui est celle des citoyens aujourd’hui encore lucides, mesurant la gravité des enjeux. Le débat parlementaire a perdu de sa substance (euphémisme) au profit d’un usage stratégique voire cynique de la parole publique. Cette confusion entre la fonction délibérative de la tribune parlementaire et l’adoption de logiques communicationnelles contribue à l’affaiblissement de l’éthique démocratique.
Dérives et perversion de la parole politique
Le recours à l’expression «manœuvres politiciennes» appliquée à la sphère politique renvoie à des pratiques stratégiques et intéressées du pouvoir, contraires à l’idéal démocratique. Elles relèvent du calcul individuel et/ou partisan. Au lieu d’être au service du bien commun, elles visent à obtenir d’illusoires gains immédiats: électoraux, médiatiques, ou symboliques. Nous assistons à une instrumentalisation des institutions à des fins courtermistes, trahissant la confiance des citoyens. Cette métaphore de la tribune publicitaire ne fait que souligner la dérive du discours parlementaire vers la logique de la performance médiatique. Celle qui ne cherche ni la vérité ni la nuance, fuyant la complexité, ne sollicitant pas l’esprit critique, mais misant sur la séduction et l’émotion. La répétition l’emporte sur l’analyse argumentée. Et le triste spectacle de l’obstruction parlementaire auquel nous allons bientôt assister ne contredira pas ce constat. À force de réduire le débat à un spectacle, c’est la démocratie qu’on affaiblit, en la privant de sa substance délibérative et critique.
On pense évidemment à Jürgen Habermas (1) pour qui la démocratie repose avant tout sur la délibération, l’usage public de la raison, permettant de déboucher sur un consensus. Il dénonçait déjà dès les années 1960 l’affaiblissement de cet idéal sous l’influence des médias de masse. On pense aussi à Guy Debord (2) qui montre comment la mise en scène remplace le réel, les gouvernants devenant des acteurs dans un «théâtre médiatique». On pense enfin à l’analyse de Pierre Bourdieu (3) qui approfondit ces analyses en montrant comment des contraintes de visibilité – rythme, simplification – jouent un rôle structurant à l’égard du discours politique. La diversité et la complexité sont sacrifiées au profit d’une efficacité peut-être symbolique.
À la dérive rhétorique semble correspondre un changement profond du fonctionnement démocratique. Et lorsque les conditions même de la démocratie délibérative sont affectées à ce point, il est permis de craindre pour son avenir.
L’appel au jugement de l’Histoire
«L’histoire, en tout cas, jugera très durement…» Est-ce une simple formule rhétorique ? Non, car le Premier ministre renvoie à une instance de régulation morale. C’est le tribunal des générations futures qui évaluera les comportements politiques d’aujourd’hui avec le recul nécessaire. C’est aussi rappeler aux parlementaires qu’ils participent à la construction d’un récit national et à l’élaboration d’une mémoire collective. L’Histoire saura distinguer entre opportunisme et vision, entre démagogie et respect des principes républicains. L’Histoire se fera juge des

