Quelle conception, en tant qu’élue, avez-vous du plaidoyer ?

L’élu est censé traduire, soit en actions, soit en lois, les aspirations de la société et les caps qu’il lui propose. Il ne doit donc pas être déconnecté et penser qu’il peut tout faire ou tout savoir seul, mais avoir des contacts directs avec les citoyens et celles et ceux qui portent des messages, comme les associations.

Veiller à garder son libre arbitre est inhérent à la fonction d’élu. Il faut avoir une colonne vertébrale de pensée, une architecture intellectuelle, sinon, on se fait balader. C’est le grand risque lorsque l’on discute avec des lobbies. Il convient donc de chercher un avis contraire et de se faire sa propre opinion.

Pour l’élu, il est impératif de bien comprendre ce que la personne demande, de s’assurer qu’il n’y ait pas des choses cachées. Par exemple, on peut vous solliciter pour modifier la fiscalité sur un produit d’assurance vie afin de favoriser l’épargne populaire, sans avoir identifié et indiqué que la demande sert aussi les intérêts de grands groupes d’assurances.

Quelles limites fixez-vous ?

Je n’ai jamais repris des amendements « clés en main » car, même si je peux être d’accord sur le fond, il y a toujours le risque d’effets secondaires indésirables. Quand on rédige soi-même un amendement, on écrit sa propre pensée, avec des arguments qu’on s’est appropriés, et si on se trompe, on ne s’en prend qu’à soi-même.

Cela m’est déjà arrivé de refuser de rencontrer des lobbyistes qui font vraiment de l’entrisme, sont impolis ou agressifs, ou avancent qu’ils peuvent avoir une influence sur votre élection. Le chantage et la pression ne passent pas avec moi. Il n’est pas simple de faire un tri parmi les demandes d’entretien, très nombreuses, car le temps est compté. Quand on a une architecture de pensée et de conviction, on est incité à recevoir les personnes qui s’inscrivent dans la même architecture, c’est la facilité. Mais quand un sujet est sensible et complexe, comme la fin de vie, c’est aussi intéressant de rencontrer des personnes qui ne pensent pas comme vous. Quand vous abordez une question complexe, il faut vraiment élargir le spectre des auditions pour saisir tous les enjeux techniques.

Est-ce que les plaidoyers ancrés dans votre foi retiennent davantage votre attention ?

Ils ont une résonance particulière, mais quand on est élu, on intériorise encore plus la loi de 1905. Pour autant, les convictions religieuses existent et font partie de la vie en société. Lors des travaux sur la loi séparatisme, en 2021, j’ai reçu toutes les confessions religieuses sans a priori, car le dialogue est important. Je ne veux pas que mes convictions personnelles empiètent sur ma réflexion politique, mais en même temps, tout se nourrit. Jean Jaurès, grand républicain que personne ne soupçonnera de n’avoir pas respecté la laïcité, a écrit sa thèse pour montrer que c’est via Luther que le socialisme allemand est né. Il y a donc un continuum indéniable entre convictions politiques et personnelles, mais dans le débat public, il faut savoir au nom de quoi on parle, et avec quelle légitimité, et ne pas tout mélanger. Ainsi, un élu n’a pas à mettre en avant ses convictions religieuses, ou en tous les cas à les utiliser comme argument. Il n’a pas non plus à cacher ce qu’il croit.

Je trouve passionnant – et insuffisamment connu – le rôle des protestants dans la construction de la République française : pendant la Révolution, c’est Rabaut Saint-Étienne, pasteur puis député de l’Assemblée constituante, qui a défendu le principe de liberté quand la plupart de ses confrères s’accommodaient de celui de tolérance religieuse. En 1905, c’est le protestant Ferdinand Buisson qui a présidé la commission spécialement créée pour écrire la loi de séparation des Églises et de l’État.