Témoignage de Mireille Comte, Bandol
Il y a Liudmila, 50 ans, sa fille de 30 ans, et Kira, 3 ans, qu’il faut préserver de la vue des cadavres dans les rues, des ruines, des bombes et de la peur. Son innocence est notre rayon de soleil. Parfois sombre et fermée car papa n’est pas là, puis elle envoie des baisers, elle rit, elle joue, ses grands yeux bleus observent tout et sourient après l’orage.
Déterminées et rebelles
Kira va à l’école à Bandol et apprend vite. La directrice accueille, invente, lui donne un ancrage. Nos enseignants sont exceptionnels ! Pour les adultes, c’est plus dur. Nous écrivons au tableau les mots usuels et les choses à faire. Je devine, je m’adapte, j’avance prudemment. Je connais ce caractère slave, à contre-courant de nos modes de vie, de nos mentalités. Déterminées et rebelles, elles ne comprennent ni n’acceptent cette guerre, entre courage et résignation ! Nous pleurons ensemble sur Marioupol et puis nous rions parce que la vie continue. Pour mon anniversaire, elles ont apporté des ballons multicolores, des roses et des chocolats. Nous avons bu du champagne. On a aussi fêté les 3 ans de Kira. L’autre grand-mère, Louba, la tante Ina et la cousine Elena sont venues en voiture de Kiev – 7 jours de route pour 2 jours ici. Alors on a poussé les murs et on les a gardées chez nous encore 8 jours.
Elles rebâtiront
C’est une rencontre riche de partage. Dans le malheur, ces femmes font la fête mieux que personne. Robes de princesses, couronnes et diadèmes, festin, chants et danses de « là-bas ». Mais elles racontent : Louba est chimiste, prof d’université et chercheuse. Elle a déjà perdu 2 maisons dans le Donbass et maintenant elle recommence à Kiev. Ina est architecte de renom, toutes les belles réalisations que nous voyons en photo ne sont plus, elle rebâtira, encore. Elena, 25 ans, est coach sportif, elle est réservée. Quelle espérance pour sa jeunesse ? Malgré les menaces et l’incertitude, elles gardent la tête haute. Elles se reconstruiront. Une même famille Notre maison permet de leur assurer l’autonomie, mais elles souhaitent plus encore, notre pré sence attentive, notre affection, notre empathie. Nous sommes leur famille, elles font partie de la nôtre et nos enfants aussi les entourent. Lundi, Nastia est partie fêter son anniversaire avec son mari. Train, avion, bus et voiture, 2 jours pour la frontière. Sa mère a voulu que nous le fêtions ensemble, elle a préparé un repas ukrainien et nous avons trinqué avec eux par téléphone. Kira était heureuse de les voir ainsi, alors que nous avions craint de la voir pleurer. Elle était le centre de la soirée, chansons, danses, karaoké. Elle envoyait des baisers à ses parents en riant. Elle ressent ce qu’on ne peut expliquer, et c’est sa force.
Ce n’est pas un hébergement mais une adoption mutuelle, un échange. Nous comprenons à présent que nous grandissons ensemble en partageant nos différences, notre vie et tout notre amour.