Christophe Deltombe est président de la Cimade depuis 2018 après avoir longtemps milité pour l’accès au droit et présidé Emmaüs France. Dans son intervention à la 6Convention du Forum à Nîmes le 1er décembre, il critique la « maltraitance institutionnelle » envers les migrants et le « double discours » du pouvoir en place avant d’indiquer « quatre éléments un petit peu optimistes ».

On a dit crise migratoire. Sommes-nous en face d’une crise migratoire ? Quelques chiffres …

  • En 2014, à peu près 200 000 migrants sont arrivés en Europe.
  • En 2015, 1 million sont venus du sud (de la Méditerranée), 1,2 million sur l’ensemble de l’Europe. Ça a été le moment important.
  • En 2016, on est retombé à 300 000.
  • En 2017 à 170 000.
  • Et en 2018, on sera vraisemblablement autour de 100 000 (1).

Par conséquent, en 2018, on aura un taux migratoire inférieur à celui de 2014 (et inférieur de moitié). Mais nous sommes toujours dans un discours de la crise migratoire, de l’envahissement, du péril … Vous avez ce fameux livre de Stephen Smith, La ruée vers l’Europe, qui est sorti pendant l’été, a été encensé par le président de la République, a reçu un prix des Affaires étrangères : il affirme qu’en 2050 en Europe, il y aura 25 % des habitants qui seront d’origine africaine (2) … Fort heureusement, François Héran (ancien directeur de l’Ined, grand spécialiste de ces questions migratoires) a réagi et a remis les pendules à l’heure (3) : en 2050, ce sera peut-être 3,5 %, peut-être 4 au maximum mais ça ne pourra pas aller au-delà.

Actuellement, les migrants sont la cible : c’est l’étranger qui vient attaquer l’identité à laquelle certains rêvent ! L’étranger est la cible, on le rejette complètement et la question migratoire sera au centre des élections européennes. Mais ce discours repose sur des fantasmes et fait fi de la réalité scientifique, totalement. C’est un problème d’autant plus important que la question de la vérité scientifique devient aujourd’hui un débat en soi : on se pose la question de savoir si la vérité scientifique est importante, si le discours politique n’est pas plus important que la vérité scientifique ? Il y a manifestement un divorce entre les deux. Car, malgré le discours qui est porté, on n’a pas aujourd’hui de crise migratoire. Un discours qui amène à une politique européenne détestable, avec la solidarité qui vole en éclats et une externalisation du contrôle des frontières Schengen. Des accords vont être passés avec le Niger, ont été passés avec le Soudan et la Turquie (il y a actuellement entre 3 et 4 millions de migrants en Turquie). Les accords entre l’Italie, l’Europe et la Libye ont financé l’achat de vedettes, la formation de garde-frontières, de garde-côtes […]