Non, le religieux n’est pas la cause première et exclusive des violences de ce monde ! En septembre dernier, le patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe de Russie a déclaré : « L’Église reconnaît que quelqu’un qui, guidé par le sens du devoir, par un besoin de remplir son serment et par une volonté d’exécuter les ordres, et s’il meurt dans l’exercice de cette vocation, eh bien, sans aucun doute, il commet un acte qui équivaut au sacrifice. Il se sacrifie pour les autres. Et nous croyons que ce sacrifice lave tous les péchés qu’il a commis par le passé1 . » Et le père Boris, évêque de l’Église orthodoxe ukrainienne à Kherson a tenu les propos suivants : « Nos soldats prennent les armes pour nous protéger. Nos soldats sont des héros car ils sont prêts à mourir par amour pour nous. Mais ils font bien plus encore : ils doivent éliminer ces bâtards… Et je n’ai jamais rencontré un combattant qui prenait plaisir à tuer. Pourtant, tuer, c’est leur devoir2 . »
Un discours contradictoire
Ces dernières décennies, les médias ont associé la violence religieuse aux fondamentalismes islamistes. Longtemps enkystées dans des conflits éloignés du Vieux Continent, certaines de ces violences ont terrifié nos villes avec des actes terroristes frappant aveuglément des innocents… Il était alors commode de croire que la violence religieuse était le fait d’autres, d’étrangers fanatisés par une religion mortifère. Comme si notre monde occidental marqué par des siècles de chrétienté avait définitivement dépassé l’âge des anathèmes interconfessionnels, des persécutions contre les hérétiques et des conversions forcées… Comme si chaque État européen n’avait jamais justifié, un jour ou l’autre, ses violences envers ses ennemis au nom de l’ordre divin dont il était le seul garant en ce monde… Combien de fois la formule « Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous3 ? » a-t-elle été instrumentalisée au fil de notre histoire chrétienne ?
Des faits religieux ambivalents
La question n’est pas de savoir si toute religion porte en elle la perversion de la violence comme tout paradis est habité par un serpent. Comme phénomènes historiques, culturels et politiques, les faits religieux sont ambivalents. Les pratiques spirituelles les plus dignes ne sont jamais éloignées des dérives temporelles les plus intéressées. Les Églises, comme les croyants, sont à la fois pécheurs et justifiés dans la foi. La violence religieuse interpelle ce qui fait notre condition humaine, à savoir notre liberté d’interprétation et notre responsabilité en actes.
Comme l’écrit le philosophe Abdelhafid HamdiCherif4 , le véritable enjeu procède moins d’un « retour du religieux » que d’un « recours au religieux ». Un recours sans cesse renouvelé, comme aujourd’hui avec la guerre russo-ukrainienne.
Par Denis Malherbe, maître de conférences émérite des universités (HDR)
1 BFMTV, Daily Motion, « Le patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe de Russie, encourage la population à rejoindre les combats », 25 septembre 2022, https://www.dailymotion.com/video/x8dz8nr
2 Arte, YouTube/ Arte Reportage, « Ukraine, la guerre des religions », https://www.youtube.com/watch?v=CWZKxb1wNPM
3 Romains 8.31.
4 Abdelhafid Hamdi-Cherif, « Retour du religieux ou “recours” au religieux ? Laïcité et religion à l’épreuve du politique », in Daniel Verba, Interventions sociales et faits religieux. Les paradoxes des logiques identitaires, Presses de l’EHESP, 2014, pp. 15-34.