Enthousiaste et convaincue d’avoir trouvé sa place, la pasteure est cependant victime d’oppositions et d’attaques d’une rare violence. Ces épreuves, loin de l’avoir découragée, ont renforcé ses engagements pour l’égalité femmes-hommes, concrétisés notamment par la publication d’un blog, Servir ensemble, et de deux ouvrages.

Un texte issu de la première émission du podcast Protestantes ! créé par Jérémie Claeys, mise en ligne le 18 septembre 2023. Lire la première partie sur notre site.

Jérémie Claeys: En quoi ton parcours en théologie a-t-il été libérateur ?

Joëlle Sutter-Razanajohary: Parce que j’ai repris tous les textes, j’ai eu accès à l’hébreu et au grec (je suis une fan de langue; on est habitués au bilinguisme en Alsace!) ce qui, forcément, ouvre à d’autres interprétations. Parallèlement – et ça aussi, c’était une grâce –, la Fédération baptiste a fait son propre cheminement par rapport à la question de l’accès des femmes au ministère d’autorité. Cela a été voté en 2006 et, mon pasteur à Marseille n’étant pas lui-même versé dans l’hébreu et le grec, il m’a demandé de faire des études bibliques à l’Église. J’ai donc dû étudier les positions pour ou contre l’accès des femmes aux ministères d’autorité et les présenter à l’Église locale. Évidemment, cela bouscule tous les schémas et on s’interroge soi-même: une femme peut-elle devenir ancienne ? Peut-elle devenir pasteure ? Pour moi, c’était non. J’ai commencé ces études bibliques en pensant qu’une femme n’avait pas le droit d’exercer un ministère d’autorité dans l’Église et je les ai terminées en me disant que si, la route était ouverte. En ce qui me concernait, je ne voulais pas: l’accès était ouvert mais ce n’était pas pour moi. Il a fallu encore deux années pour que je réalise que moi aussi j’étais appelée à ce rôle.

Quand tu commences ton ministère en 2008, tu célèbres ton premier culte à l’Église évangélique d’Annecy devant douze personnes, dont cinq membres de ta famille…

Oui. Et il faut me compter dans les douze!

Peux-tu nous raconter cette prise de position ?

C’est une Église qui n’avait plus de pasteur depuis 8 ans, donc en grande souffrance, mais j’étais déjà convaincue: il n’y avait plus de barrières en moi, j’étais à ma place. Il aurait pu y avoir cinq vaches, trois moutons et un seul être humain que cela n’aurait rien changé… J’étais remplie de joie, de feu, d’énergie pour le petit troupeau qui m’avait été confié. Un jour, d’ailleurs, en promenade avec ma fille derrière les montagnes d’Annecy, elle m’a demandé si j’allais rester pasteure toute ma vie. Je lui ai répondu que je ne savais pas, que le chemin était long, que je verrais… Elle m’a dit:

«Moi, je suis sûre que tu vas rester parce que, même si un jour tu quittais Annecy et que tu te retrouvais là, avec cet auditoire – elle me montre une masure perdue au milieu des vaches – tu ferais encore plein de « Meuh-ditations »!»

Et je crois qu’elle avait raison! Quel que soit l’auditoire, j’ai besoin de partager.

«Je réalisais alors que le patriarcat n’était pas encore entièrement sorti de ma tête»

Sachant que seulement trois ans s’étaient écoulés depuis l’ouverture du ministère, comment as-tu vécu cette prise de position encore nouvelle dans la Fédération?

Personnellement je l’ai bien vécue. La Fédération a été admirable et j’ai reçu un accueil extraordinaire de la part de mes collègues pasteurs de la région. Dans les pastorales régionales, nationales, il y avait cette ouverture. L’opposition est venue d’autres unions d’Églises qui ont peu apprécié de voir une femme pasteure dans les pastorales évangéliques. Il y a eu des choses très douloureuses, comme cette espèce de fatwa posée sur ma tête par une personne très déséquilibrée qui a fait un appel au meurtre sur un réseau social chrétien. Ce monsieur a été vite éradiqué mais cela a été très violent. Je ne me rappelle plus vraiment l’appel au meurtre sur moi – il demandait que je sois défenestrée comme Jézabel, etc. – mais la phrase qui m’a vraiment violemment choquée, d’autant plus qu’à ce moment-là j’étais en difficulté avec mon plus jeune fils, adolescent, est, je cite: «Que ses enfants soient tués pour la plus grande gloire du nom de notre Seigneur Jésus-Christ». Ça m’a percutée comme un camion. J’ai vacillé et je me suis dit que j’avais fait la plus grosse connerie de ma vie, que j’allais perdre mon fils. Il m’a fallu quelques heures pour revenir sur un terrain sécure et me rappeler que mon ministère pastoral était une bénédiction pour moi et pour  […]