Comment parvenir à être soi en dépit des épreuves et du doute ? Quoi faire pour transformer ses émotions en énergie créatrice ? Et comment s’imposer en tant que femme dans un milieu qui les désavantage ?

Un texte issu de la première émission du podcast Protestantes ! créé par Jérémie Claeys, mise en ligne le 18 septembre 2023. Lire la première partie et la deuxième partie sur notre site.

Jérémie Claeys: Comment s’est opérée la réconciliation avec ton côté fougueux ?

Joëlle Sutter-Razanajohary: Je ne sais pas, ce n’est pas lié à un événement en particulier. Cela s’est fait progressivement.

Les gens autour de toi ont-ils vu cette évolution, le fait de rentrer en toi-même et de devenir toi ?

De mes 20 à mes 40 ans, je contenais mes émotions jusqu’à ne plus pouvoir et puis, paf!… ça giclait, et les gens se disaient que je n’étais pas une personne équilibrée. Je partais dans des éclats de rire, je devenais soudainement exubérante… Il y avait un contraste énorme entre les moments où j’arrivais à vivre dans cette modalité de douceur, avec ce caractère lisse, et qui j’étais réellement. Il a fallu que j’apprenne à m’accepter et à m’accueillir telle que j’étais. Quelqu’un a dit un jour de moi que j’étais comme une coupe de champagne, que ça pétillait… Je me suis dit: on aime le champagne! Ça suffit, ras-le-bol…: sois qui tu es, Joëlle!

«Mettez-vous en colère»

Comment as-tu fait pour te connecter à cette juste colère en dépit de l’interdit rattaché à cette émotion?

Ah, oui, la colère!… C’est une grande histoire dans ma vie, la colère… d’autant plus que j’ai vécu mon adolescence sous les coups. Mon papa était violent envers moi et j’étais la seule des filles à avoir été battue, jusqu’à faire deux comas. De mes 12 à mes 21 ans (âge auquel j’ai reçu mon dernier coup), la colère était très forte dans ma vie et j’avais du mal à la gérer. Cela giclait (parfois je cassais des assiettes) mais j’ai toujours résisté au fait de taper sur mes enfants. Cela reste quelque chose de difficile à vivre pour moi et dès que je suis fatiguée, la souffrance revient. La colère a donc été un dragon à dompter dans ma vie, il a fallu que je l’accepte. Je me suis fait accompagner, j’ai dû apprendre à lui laisser une place légitime dans ma vie. Dans nos bibles, le texte dit: «Si tu te mets en colère, ne pèche pas». Alors que le texte grec affirme: «Mettez-vous en colère» (Éphésiens 4,26). C’est un impératif! C’est en découvrant cette version que je me suis dit que j’avais le droit de me mettre en colère. J’ai fait des recherches et j’ai compris que la colère était une caractéristique divine. Si Dieu a le droit de se mettre en colère, pourquoi moi, je n’en aurais pas le droit ? Mais nous, êtres humains pétris de péchés, nous mettons très souvent en colère pour les mauvaises raisons et de la mauvaise manière. Nous ne cherchons pas, comme Dieu, à construire le bien. J’ai ainsi appris à gérer ma colère, à accepter cette émotion, à exprimer ce que je voulais construire. Cette découverte du texte biblique a été une renaissance pour moi.

C’est fou, cette différence entre les deux versions du verset!

Les premiers traducteurs ont dû se dire qu’il était impossible de traduire cette ouverture, cette autorisation, cette liberté, au risque de voir les gens s’en saisir et faire n’importe quoi!

C’est un sujet que j’aime bien, la colère, ayant moi-même un fond colérique. J’ai dû me réconcilier avec cet interdit de la colère en transformant cette émotion, en utilisant la créativité. On juge souvent la colère négativement alors que l’accueillir et l’écouter permet de découvrir ce qu’elle a à nous dire et de la transformer. C’est en cela que je suis très attaché à la créativité sous toutes ses formes. Pour moi, réaliser des podcasts est une manière de faire bouger les lignes, d’aborder des sujets importants. C’est un moyen de transformer cette énergie qui, loin d’être négative, constitue simplement une information. Toi, en l’occurrence, ton blog et tes livres sont ta manière de transformer cette énergie.

Exactement. C’est une façon de construire au-dessus […]