J’ai demandé l’asile en arrivant en France mais il a été refusé. Il y a deux ans, j’ai fait une demande d’admission exceptionnelle au séjour « Vie privée et familiale », mon dossier administratif est toujours en cours. Mon mari était designer en Algérie. Nous avons quatre enfants dont deux sont nés en France. J’ai pu avoir un contrat de travail avec mon passeport, je suis vendeuse dans une boulangerie, à une heure de tram de chez moi.

Lorsque nous nous sommes installés à Bordeaux, j’ai été accueillie au Foyer fraternel pour les cours de FLE (Français Langue Étrangère). La faculté de droit m’avait donné un master 1 de droit en équivalence, mais je devais passer le B2 (le niveau B2 correspond à un stade avancé). Quand j’aurai un très bon niveau de langue et acquis le vocabulaire juridique, et que ma situation administrative sera régularisée, je passerai l’examen du barreau (examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats). Avec la pratique et l’entraînement, ça ira mieux, mais tant que j’ai pas les papiers, je peux pas faire de stage dans un cabinet.

En attendant, je suis bénévole à la Cimade où je fais des permanences juridiques et de l’interprétariat, au CCAS, dans l’association des parents d’élèves et au Foyer fraternel. Au Foyer fraternel, j’ai été bénéficiaire pendant un an et demi : cours de FLE, colis alimentaires, sorties et différentes aides. Et puis on m’a demandé si je voulais participer à la réflexion du groupe sur l’accueil de jour. J’ai dit oui, je n’ai pas hésité. J’ai fait les ateliers couture et la cuisine. Et après, on m’a proposé d’entrer au conseil d’administration. C’était valorisant pour moi, une responsabilité importante.

Moi, je m’engage dans la société, j’attends pas qu’on me donne tout. C’est ma personnalité. Si je fais rien en attendant mes papiers, je vais perdre des années. Je crois qu’il faut sortir de cette spirale dramatique des papiers. De nombreuses familles migrantes sont bloquées à cause de ça et ne font rien en attendant leur régularisation.

À la Cimade, quand j’ai proposé mon aide, au niveau de la langue, du vocabulaire juridique et tout ça, j’étais pas vraiment au top mais je me suis engagée quand même. Il ne faut pas attendre d’être parfait pour s’engager. C’est important pour moi d’aider, parce que j’ai été aidée, même si j’ai eu parfois des refus parce que je suis en situation irrégulière ou que je suis une femme voilée.

Je ne suis pas du genre à rester les bras croisés à attendre que les aides tombent de l’État. Il faut que chacun commence à s’aider soi-même et après on s’engage pour les autres. Je n’ai jamais pensé que quelqu’un allait venir m’aider sans que je fasse rien. Il faut être partie prenante des projets. Les aides, c’est un coup de pouce ponctuel pour nous, rien d’autre. J’encourage les étrangers à ne pas se tourner les pouces. On n’est pas là pour profiter. Mon mari, avec toutes ses compétences, travaille dans le bâtiment et quelquefois même il fait du ménage. Son estime de lui et sa valeur ne sont pas mises en doute parce que ce qu’il fait aujourd’hui n’est pas en rapport avec ses diplômes. Il ne va pas rester sans rien faire sous prétexte qu’il a fait des études. Et moi, c’est pareil. On apprend ça à nos enfants. On veut leur montrer le bon exemple.

Je veux me rendre utile, je ne reste pas à courir après mes rêves. Je suis lucide et réaliste : je voudrais devenir avocate en France, c’est mon objectif, mais j’ai quatre enfants et ce ne sera pas facile. Peut-être que je serai juriste plutôt. Je suis bénévole aussi pour moi-même. Je veux savoir comment ça se passe ici pour les aides financières et sociales, dans mon pays on n’a pas tout ça. Je suis là pour apprendre et pour donner, ça m’enrichit. Quand je fais l’interprète à la Cimade et que j’oriente les gens vers le Foyer fraternel ou le CCAS, j’éprouve un grand bonheur.